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Soigner le génie : artistes femmes et psychiatrie
Les grandes questions de l’histoire de l’art
25.09.2020 | Nina Meisel

Unica Zürn, Untitled, 1959, encre et gouache sur papier, 45,1 x 61,9 cm, Courtesy Ubu Gallery, New York & Galerie Berinson, Berlin

La folie, l’hystérie (issu du mot utérus), voilà des maux tout particulièrement stéréotypés féminins. Parfois taxées d’aliénation pour leur excentricité et leur exubérance hors norme pour l’époque, des femmes ont vu leur quotidien s’effondrer lorsqu’on les a retirées de la vie civile pour les placer dans des institutions ou qu’on a pratiqué sur elles des opérations, comme la lobotomie, révolution de la médecine moderne extrêmement populaire dans les États-Unis des années 1950.
Pourtant ces périodes troubles ont été pour certaines femmes sources de création, leur conférant une perception et une appréhension différente du monde. La maladie inspire Unica Zürn (1916-1970) qui interroge dans ses textes et ses œuvres son moi-femme depuis des points de vue extérieurs. Elle s’observe et se met en scène parmi des animaux chimériques, la distance prise avec son propre corps trahit la schizophrénie dont elle est atteinte. La japonaise Yayoi Kusama (née en 1929) utilise l’art pour déjouer les angoisses que lui procurent ses hallucinations. Elle cherche à immerger les spectateur·rice·s dans l’infini exubérance des formes colorées de son enfance. La phase dépressive que connait Dora Maar (1907-1997) l’amène à délaisser la photographe et à se tourner vers la peinture et la gravure de paysages austères de Provence dans laquelle elle s’est retirée.

Cependant, l’enfermement du corps et de l’esprit sonne parfois le glas de la création pour certaines artistes. Camille Claudel (1864-1943) est internée à partir 1913 sur la demande de son frère, tout comme Frances Hodgkins (1869-1947) dans les années 1940 ou Séraphine Louis, dite de Senlis (1864-1942) en 1932 après avoir dilapidé sa fortune et sombré dans la folie. Elles finiront leurs jours dans des institutions délaissant leur pratique artistique.

Ces lieux de soins sont la source d’inspiration d’autres artistes. Les observations d’Annette Messager (née en 1943) et de Mâkhi Xenakis (née en 1956) sont hantées par les névroses enfantines, qui font écho aux pathologies des patient·e·s des hôpitaux psychiatriques. Pour Les Folles d’enfer de la Salpêtrière (2004), M. Xenakis s’immerge dans les archives de l’hôpital pour en saisir l’ambiance et créer une œuvre pour la chapelle qui parle de l’enfermement des femmes à l’hospice. Au Chili, Paz Errázuriz (née en 1944), après avoir gagné la confiance des malades de l’hôpital psychiatrique de Putaendo, rassemble dans l’album El Infarto del Alma [L’infarctus de l’âme, 1994], les portraits des interné·e·s dont elle souhait illustrer et documenter les vies coupées du monde.
Une part de l’art brut né des recherches artistiques dans les lieux d’internement, il est défini en 1945 par Jean Dubuffet (1901-1985) selon deux paramètres. Le premier est le caractère autodidacte de l’artiste, ce qui implique souvent la marginalisation sociale de celui·celle-ci. Le second réside dans la recherche esthétique, qui trouve de nouveaux langages et de nouvelles techniques. C’est aussi J. Dubuffet qui expose pour la première fois les œuvres Aloïse Corbaz, dite Aloïse (1886-1964) en 1948 dans le cadre de la Compagnie de l’Art Brut. Pour cette artiste, l’internement coïncide avec le début de la création qui semble être un exutoire. Elle travaille à partir des matériaux récupérés dans les poubelles de l’hôpital et façonne pendant ses 46 ans d’enfermement les personnages qu’elle rencontre dans ses délires.

Le mouvement de l’art brut et l’intérêt qui lui est porté permettent, encore aujourd’hui, à des artistes atteint·e·s de maladies mentales d’être exposé·e·s dans les salles des musées : dans les salles de la banque Austria Kunstforum de Vienne, l’exposition Flying High: Women Artists of Art Brut (12 février au 23 juin 2019) a rassemblé plus de 300 œuvres brutes réalisées par 93 femmes dans une vingtaine de pays différents issues de collections privées de grand psychiatres ou de collections publiques. L’histoire de la folie comme force créatrice a également inspiré des cinéastes comme Martin Provost qui réalise, en 2008, le film Séraphine, en hommage à Séraphine Louis interprétée par Yolande Moreau.

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