Critique

Femmes artistes autour de Marta Pan : trajectoires plurielles

26.10.2019 |

Vera Pagava, Paysage ciel bas, 1962, huile sur toile, collection AC/VP, © Association culturelle Vera Pagava

Au musée des Beaux-Arts de Brest, six artistes peintres et sculptrices arrivées en France entre 1920 et 1950 sont présentées, réunies par le seul thème de l’exil, littéral et métaphorique.

Dans la salle d’exposition temporaire du musée de Brest, en contrebas d’une volée de marches, une simple cimaise est disposée au centre de la pièce rectangulaire, complétée par endroits de socles bas accentuant la circulation du regard au sein de l’accrochage. Or, une fois que l’on a dépassé leur apparente disparité, ce qui tient ensemble la quarantaine d’œuvres abstraites retenues par la commissaire, Marie-Jo Bonnet, est la décision prise par chacune des artistes de quitter son pays d’origine pour faire carrière dans la France de l’entre-deux-guerres puis de l’après-guerre – la période contemporaine étant le sujet de deux autres expositions conçues en miroir, cette fois à Rennes1.

Femmes artistes autour de Marta Pan : trajectoires plurielles - AWARE Artistes femmes / women artists

Simone Boisecq, Totem, 1957, terre cuite, 112 x 50 x 14 cm, © Simone Boisecq

Le travail de Marta Pan (1923-2008), qui laisse Budapest pour Paris en 1947, fait à ce titre figure d’exemple, à partir d’un choix de sculptures en bois de petites dimensions du tournant des années 1960, telles que Gaiac 2 (1961), qui jouent d’équilibres de formes simples et fondues dans une matière chaude. Présentée en regard, la production de Simone Boisecq (1922-2012), née à Alger, apporte un contrepoint géométrique au biomorphisme de M. Pan, à l’instar de Totem (1957) dont le titre doit bien faire entendre ce qu’il y entre de mysticisme, par la recherche de formes modulaires, garantes de leur portée cosmique. En cela, l’exil abordé par l’exposition concerne non seulement l’espace géographique, mais aussi l’espace mental propre à chacune des artistes, par le truchement de la géométrie chez Vera Pagava (1907-1988), de la gestualité chez Judit Reigl (née en 1923), et de l’utilisation de la couleur chez l’une et l’autre, la juxtaposition des œuvres de ces deux dernières étant indéniablement l’une des réussites de l’accrochage.

L’insertion dans le maillage relationnel d’une époque, d’une densité exceptionnelle : c’est cela qui apparaît enfin à Brest, par recoupements et en creux, tant au travers des formations et des expositions que des soutiens précieux dont chacune a bénéficié. Par analogie, la vue des photographies de groupe d’élèves admis dans l’atelier d’Antoine Bourdelle (1861-1929), dans une exposition récente, laissait une impression très forte, face à la diversité de nationalités visibles (plusieurs dizaines) aussi bien que face au nombre de femmes présentes, en proportions presque égales aux hommes, avant leur effacement des canons de l’art du XXe siècle2.

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Marta Pan, Gaiac 2, 1961, bois Gaiac, © Didier Olivre

C’est peut-être sur ce dernier point, en particulier, qu’il convient de tempérer l’enthousiasme apparent du titre de l’exposition, dans la mesure où la scène artistique parisienne, si elle pouvait jouer le rôle de tremplin, n’en restait pas moins discriminante. L’histoire de l’art instruite par la critique féministe a eu tôt fait de constater ce paradoxe, et a très bien décrit les stratégies élaborées en retour, qui ne sont malheureusement qu’effleurées ici, en mentionnant la création par Charlotte Calmis (1913-1982) du groupe La Spirale en marge de son activité de peintre de tendance informelle, présentée dans l’accrochage3. Le principal écueil de l’exposition tient peut-être à cette absence de discours critique, qui inviterait au dépassement de chaque trajectoire individuelle d’artiste, envisagée dans sa seule anecdote, pour appréhender ce qui se joue à même la structure du récit de l’histoire de l’art.

 

La vraie vie est ailleurs ! Femmes artistes autour de Marta Pan, du 27 juin 2019 au 5 janvier 2020, au musée des Beaux-Arts (Brest, France).

1
At the Gates, du 15 juin au 25 août 2019, à La Criée, centre d’art contemporain de Rennes ; Créatrices. L’émancipation par l’art, du 29 juin au 29 septembre 2019, au musée des Beaux-Arts de Rennes.

2
Se reporter à Boisserolles Claire, Ferrand Stéphane et Simier Amélie (dir.), Transmission/transgression. Maîtres et élèves dans l’atelier : Rodin, Bourdelle, Giacometti, Richier…, cat. expo., musée Bourdelle, Paris, 3 octobre 2018-3 février 2019, Paris, Paris Musées, 2018.

3
Voir la synthèse historique de référence de Fabienne Dumont, qui consacre un chapitre à l’activité de La Spirale (1972-1982) dans Dumont Fabienne, Des sorcières comme les autres. Artistes et féministes dans la France des années 1970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 81-91.

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Pour citer cet article :
Valentin Gleyze, « Femmes artistes autour de Marta Pan : trajectoires plurielles » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 26 octobre 2019, consulté le 24 avril 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/femmes-artistes-autour-de-marta-pan-trajectoires-plurielles/.

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