© Photo : JP Rosier
Mathilde Rosier, Play for a Stage of the Natural Theatre of Cruelty Performance view at Serpentine Gallery Pavilion, London, UK, 2009
La démarche de Mathilde Rosier trouve son point de départ dans un élément clé de sa biographie : la décision qui l’a amenée, dès la fin de ses études aux Beaux-Arts de Paris, à se retirer dans une bâtisse isolée, au cœur d’un environnement rural et agricole devenu le sujet central de son œuvre depuis une vingtaine d’années.
Ce choix radical et délibéré – qui n’avait rien de pratique ni de stratégique, après un début de carrière prometteur et deux séjours successifs dans les résidences internationales très connectées de la Rijksakademie à Amsterdam et de l’ISCP à New York – comblait d’abord le sentiment d’un manque, d’un éloignement au vivant, et offrait la possibilité, dans un environnement dépourvu d’institutions culturelles, de laisser place à une autre forme de culture, en l’occurrence un régime agri-culturel presque entièrement absent du champ de l’art à l’époque. Au cœur d’une région partagée entre domaines viticoles et grandes exploitations, ce nouveau mode de vie plus solitaire, précurseur d’un retour à la terre désormais au centre de l’actualité, ancrait simultanément le quotidien de l’artiste dans la diversité des relations au vivant et dans une confrontation à soi.
Mathilde Rosier, Abstraction Attraction III, 2015, Vues de performance au Volcano Extravaganza, Stromboli, Italie, 2015
Dans la première phase de cette recherche, l’artiste s’est appuyée sur l’histoire de la psychologie et sur l’hypothèse qui situe dans l’inconscient la seule proximité authentique avec la nature, une survivance de l’état sauvage en contraste avec le moi conscient et civilisé. Dans l’expression qu’en donne Mathilde Rosier, elle apparaît sous forme de scènes théâtralisées et ambiguës, rappelant les contes ou la mythologie, dans lesquelles des figures humaines, parfois indistinctes, cohabitent avec des animaux plus ou moins familiers : animaux de compagnie (chiens, chats, chevaux), commensaux (chouettes posées sur des décors de carton, singes musiciens) ou animaux sauvages mais captifs, comme ces félins et ces aras, respectivement circonscrits au périmètre d’une armoire ou d’un lit à baldaquin.
Mathilde Rosier, Le Massacre du Printemps, 2020 4K vidéo, 18’ 9”. Gracieuseté de l’artiste et la Galleria Raffaella Cortese, Milan
Mathilde Rosier, Body and Soil, 2020, Vidéo; 4’ 43”. Gracieuseté de l’artiste et la Galleria Raffaella Cortese, Milan
Mathilde Rosier, Cérémonie, Homme et Cheval, 2010 Gouache sur papier, 203 × 106 cm. Gracieuseté de l’artiste et la Galleria Raffaella Cortese, Milan
Depuis quelques années, ces représentations d’une nature domestiquée trouvent leur prolongement dans une nouvelle série où bourgeonnent des corps hybrides aux membres végétaux, coiffés de têtes d’épis, balayés par les vents, entre les rangées de plantes céréalières et les empreintes des machines agricoles. Regroupées sous l’intitulé In the Fields of Intensive Prosperity (2019-2021), ces images évoquent à la fois l’expérience mentale de dissolution dans le vivant à laquelle se soumet l’artiste, l’intensité du lien à son environnement, et celle qu’induisent les modalités de l’agriculture industrielle ; la parenté immédiate de la plante et de l’humain et l’exploitation intensive de l’une par l’autre. S’il pouvait être question dans les précédents travaux de communier avec le monde, il s’agit ici de faire corps avec lui.
Mathilde Rosier, Blind Swim 3, 2016-2017, Huile sur toile, 220 × 120 cm. Gracieuseté de l’artiste et la Galleria Raffaella Cortese, Milan
Mathilde Rosier, Impersonal Empire, the Buds, vue d’installation à la Galleria Raffaella Cortese, via A. Stradella 7, Milan, Italie, 2018
Qu’il soit traité sous forme de peintures, de dessins, d’assemblages, de films, de costumes ou de performances, ce thème continu s’exprime dans une veine qui peut rappeler l’art des symbolistes, l’art décoratif des théâtres ou des ballets, voire les ornements typiques de certaines œuvres aborigènes. Mais il y aurait un contresens à penser que ces images renvoient à autre chose qu’elles-mêmes. Elles témoignent au contraire d’un « art de l’attention », pour employer la formule d’Estelle Zhong Mengual à propos de certaines femmes naturalistes du XIXe siècle, qui considère la nature comme un sujet et qui en célèbre la proximité retrouvée.
Thierry Leviez
Mathilde Rosier est née à Paris en 1973. Elle vit et travaille en Bourgogne. Elle est professeure à la Fachhochschule Nordwestschweiz de Bâle. Elle a étudié aux Beaux-Arts de Paris après un master en économie à l’université Paris-Dauphine, puis a été résidente à la Rijksakademie à Amsterdam en 2002 et à The International Studio & Curatorial Program (ISCP) à New York en 2006.
Son travail fait l’objet de nombreuses expositions monographiques, notamment au Freud Museum et au Camden Art Centre à Londres (2011), au Kunstverein de Dortmund (2012), au Tank Institut Kunst à Bâle (2016), à la galerie The Breeder à Athènes, à la Fondazione Guido Lodovico Luzzatto et à la Galleria Raffaella Cortese à Milan (2018), à la Fundacja Razem Pamoja à Varsovie (2019), ainsi qu’au Museu de Arte de São Paulo (MASP) à Sao Paulo et au Museo d’Arte Contemporanea Donnaregina (MADRE) à Naples (2020).
Sa dernière exposition en France est présentée en 2010 au Jeu de paume.