Prix AWARE

Myriam Boulos
Nommée au Prix 2021

Myriam Boulos, francophone, est née à Beyrouth en 1992, avec les rêves collectifs du Liban d’après-guerre. Ceux d’une société déchirée mais espérant se réinventer. 1992 est aussi l’année où la chanteuse américaine Madonna utilise sans permission des extraits de musique de la diva arabe Fairuz – signe des temps pour la génération de la mondialisation, qui est vite enrayée par l’enracinement des conflits. Cette génération transfrontière se voit (re)plongée dans la réalité glaçante de la guerre dès le milieu des années 2000. C’est alors que M. Boulos, à l’âge précoce de seize ans, s’empare de l’appareil photographique.

Myriam Boulos - AWARE Artistes femmes / women artists

Myriam Boulos, Beyrouth, Liban, le 1er juin 2013. Vertiges du matin, © Myriam Boulos

Myriam Boulos - AWARE Artistes femmes / women artists

Myriam Boulos, Beyrouth, Liban, le 4 décembre 2018. Still looking for tenderness, © Myriam Boulos

En 2015, avec son diplôme de l’Académie libanaise des beaux-arts en poche, M. Boulos fait son entrée en matière dans un Beyrouth schizophrène, ville de cendres et de paillettes. Récipiendaire d’un prix important1, elle expose la série Nightshift à la Byblos Bank. Une série conçue tel un révélateur de pulsions et d’identités refoulées durant la vie diurne, que seul le royaume de la nuit sait « shifter ». Saisir à travers les corps narcissiques des jeunes Libanais·e·s ivres de fête l’insolence, l’impudeur, la grâce, mais aussi l’instant du basculement de l’autre côté du miroir : le corps fétichisé et sexualisé de la société patriarcale capitaliste, au lieu de se laisser regarder tel un objet interdit ou mis en scène, crève l’écran. Les jeunes femmes de Nightshift revendiquent dans un instinct de vie nocturne leur pleine place dans la société.

Loin des clichés néo-orientalistes d’un « art contemporain arabe » prisé par le marché de l’art, comme des stéréotypes sociologiques véhiculés par les médias occidentaux sur la « jeunesse dorée du Moyen-Orient », M. Boulos parvient, dans un subtil jeu entre l’image volée et l’image concertée, à créer une empathie résistante : elle accompagne les corps – dans leur narcissisme ou dans leur dérive – plus qu’elle ne les valorise, elle les étreint plus qu’elle ne les dévoile. Une attitude historiquement ancrée dans l’histoire de la photographie documentaire, de Letizia Battaglia à Nan Goldin, au contact avec les contre-cultures mais aussi avec les démuni·e·s et les sans-voix – pensons à la récente série C’est dimanche, qui nous invite dans le quotidien des femmes domestiques lors de leur jour de congé.

Myriam Boulos - AWARE Artistes femmes / women artists

Myriam Boulos, Beyrouth, Liban, le 6 septembre 2018. Tenderness, © Myriam Boulos

Myriam Boulos - AWARE Artistes femmes / women artists

Myriam Boulos, Beyrouth, Liban, le 6 juillet 2018. Dead end, © Myriam Boulos

Dans un paroxysme d’errance, la série Tenderness (depuis 2018) donne aux ébats amoureux des accents existentialistes. L’érotisme se meut en postures auto-protectrices, les corps lovés les uns dans les autres semblent fuir notre regard, exhibant les stigmates d’une résistance à l’exclusion sociale et économique. Dans la série Dead End (2019) s’entremêlent le plaisir de la transgression et la violence de vivre dans les marges : le nu nocturne dans la rue, tel un happening fugitif pour renouer, à travers l’œil complice de M. Boulos, avec le cosmos et le paysage stellaire. Elle étreint pour mieux les souligner ces vies non productives ou non conformes qu’elle aborde sur le temps long, parlant même de slow documentary.

Certes, son approche au long cours s’expose dans les institutions internationales, surtout en France : entre 2019 et 2020, on la retrouve à l’Institut des cultures d’Islam et à l’Institut du monde arabe, mais aussi à l’Aperture Gallery à New York et au Beirut Art Center. Mais c’est dans la presse française que ses photos (Les Inrocks, Libération, Polka, Vogue…) – notamment la saisissante série réalisée durant la récente révolution libanaise2, dans le feu de l’action – circulent le plus. Actuellement en pleine période de documentation post-apocalyptique des suites de l’explosion du 4 août 2020, M. Boulos n’en reste pas moins une incarnation fulgurante et engagée du futur de la photographie, qui se dessine, tel un trait d’union, entre Paris et Beyrouth.

Morad Montazami

 

Myriam Boulos (née en 1992 à Beyrouth) émerge dans un pays divisé par la guerre qui a dû se réinventer. À l’âge de seize ans, elle commence à utiliser son appareil photo pour questionner Beyrouth, ses habitant·e·s et sa propre place dans la société libanaise. Diplômée en 2015 d’un master en photographie de l’Académie libanaise des beaux-arts, elle participe ensuite à des expositions collectives nationales et internationales, dont Infinite Identities (Amsterdam, Pays-Bas), la 3e Biennale des photographes du monde arabe (Paris), C’est Beyrouth (Paris), la Berlin Photo Week ou encore Photomed (Beyrouth). En 2014, elle reçoit le Purple Lens Award, qui la conduit à sa première exposition monographique en 2015. Sa deuxième exposition se tient en 2019 à l’Institut français du Liban. Aujourd’hui, elle utilise la photographie comme moyen d’exploration, de défiance et de résistance face à toutes les formes de domination sociale et politique.

1
LKatia Porroe Purple Lens by Byblos Bank, en 2014.

2
Soulèvement populaire déclenché le 17 octobre 2019.

Morad Montazami est historien de l’art, éditeur et commissaire d’exposition. Après cinq années passées en tant que « Middle Eastern/North African arts curator » à la Tate Modern de Londres (2014-2019), il dirige désormais la plateforme Zamân Books & Curating. Celle-ci développe les études transnationales sur les modernités arabes, africaines et asiatiques, à travers livres et expositions. Il a été le curateur de Volumes fugitifs : Faouzi Laatiris et l’Institut national des beaux-arts de Tétouan (musée Mohammed VI d’Art moderne et contemporain, Rabat, 2016), de Bagdad mon amour (Institut des cultures d’Islam, Paris, 2018) et de New Waves : Mohamed Melehi and the Casablanca Art School (The Mosaic Rooms, Londres, MACAAL, Marrakech, Alserkal Arts Foundation, Dubaï, 2019-2020).
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