Lorsque j’ai annoncé à Eva Barto1 que je devais rédiger une notice sur son travail, elle m’a supplié de ne pas me lancer dans une description de son œuvre. « De toute façon, je parie que tu en serais incapable ! », a-t-elle ajouté en riant. Un peu vexé, je me suis rendu compte qu’elle avait pourtant raison.
Malgré nos discussions passées et l’intérêt que je porte à son travail, il m’était impossible de décrire avec précision les éléments qui composaient ce corpus. Un certain nombre de pièces me venaient à l’esprit mais l’ensemble (traversé par les figures du faussaire et du flambeur, par des tactiques d’esquive, d’endettement, de fraude ou d’enchères, par des modèles économiques d’instrumentalisation fictionnelle comme celui de la société écran…) échappait à l’ekphrasis – cette notion qui désigne, dans les manuels rhétoriques de l’Antiquité gréco-romaine, toute évocation vivace d’un sujet donné en le faisant surgir sous les yeux de son destinataire. Au fil de ma discussion avec Eva Barto, je comprenais que l’enjeu de cette réticence concernait l’intégrité de son œuvre, comme si l’opacité relative appartenait aux mesures de conservation préventive, à l’instar du taux d’hygrométrie, de la température ou du nombre de lumens. Pour beaucoup d’artistes, toute forme de diffusion est bonne à prendre car elle participe des moyens nécessaires aux conditions d’existence d’une carrière artistique. Pour Eva Barto, il semble, au contraire, qu’un excès de visibilité mal contrôlé puisse porter atteinte à ses pièces – les corroder, en quelque sorte, comme de la rouille sur du métal. Aucune photo dans le portfolio de l’artiste. Très peu d’œuvres répertoriées dans Google Images. Les stratégies d’Eva Barto résistent à la description. Instigatrices d’une crise de la représentation, les œuvres qu’elle produit sont les instruments de blocage qui court-circuitent les flux de production, de diffusion et d’échange alimentant les systèmes d’accumulation du capital.
Gallien Déjean