Gaël Teicher, Dalila Dalleas Bouzar, plasticienne, Montreuil, les Éditions de l’Œil ; Paris, Solidarité laïque, 2023
→Charlotte Grove Reynders, Re-Visions of Violence: Taboo and Transformation in The Paintings of Contemporary French-Algerian Artist Dalila Dalléas Bouzar, mémoire, Princeton University, 2019
→Suzanne Vogel-Tolstoi, Dalila Dalléas Bouzar : Innocente, cat exp., Galerie Cécile Fakhoury, Abidjan [13 décembre 2019-29 février 2020], Abidjan, Galerie Cécile Fakhoury, 2019
→Dalila Dalléas Bouzar, Anissa Bouyaed, Algérie, année 0, ou, Quand commence la mémoire, Alger, Barzakh, 2012
Dalila Dalléas Bouzar. Résidence de création et exposition, Fondation H, Antananarivo, 1 juin–13 août 2024
→Vaisseau Infini, Palais de Tokyo, Paris, 19 octobre 2023–7 janvier 2024
→Territoires de pouvoir : Dalila Dalléas Bouzar, Galerie Cécile Fakhoury, Paris, 8 septembre -8 octobre 2022
Peintre et performeuse algérienne.
Pour Dalila Dalléas Bouzar, « la peinture, ça part du corps » (les citations de l’article sont issues d’un entretien entre l’artiste et l’autrice en juillet 2024). Que ce soit le sien ou celui des autres, le corps intervient comme une boussole dans ses performances, ses (auto)portraits et ses tapisseries.
Née à Oran en 1974, D. Dalléas Bouzar grandit à Paris où elle rencontre l’histoire de l’art racontée par les musées de la métropole. En 1997, elle abandonne ses études de biologie pour rejoindre l’Académie des beaux-arts de Paris où elle développe un langage singulier, se nourrissant des enseignements classiques de la peinture et de la figuration pour interroger le rapport de pouvoir qui se joue à travers l’histoire de la représentation.
C’est d’abord avec la peinture à l’huile, pilier de la tradition européenne, que l’artiste choisit de décliner des classiques de l’iconographie chrétienne (Saint-Georges, Atlantique noir, La Cène, 2018) et orientaliste (Les Femmes d’Alger, d’après Eugène Delacroix, 2003-2022). Elle en absorbe les compositions, les palettes et le trait afin de les remanier dans son propre univers. Expérimentant avec la couleur, la lumière, le rapport du fond à la figure, elle opère des gestes de réécriture qui viennent percer la chair du récit dominant de l’histoire. « Pour moi il n’est pas tant question de chercher une légitimité, mais plutôt de construire des nouvelles figures, de décloisonner l’histoire de l’art, de l’ouvrir, d’y inscrire de la liberté. »
Tout au long de son parcours, elle cultive la potentialité libératrice de figures, comme les Sorcières (2019) et les Baigneuses (2010-2024), qui ont longtemps fait l’objet de clichés sexistes insufflés par les canons de l’art. Ces toiles plongent les personnages dans des espaces oniriques et des géométries astrales qui fondent l’impératif réaliste de la figuration dans un imaginaire cosmique. Ce décloisonnement s’opère aussi dans son travail performatif, qui prend son envol aux Îles Falkland où elle réalise en 1999 ses premières performances avec un ami et un appareil photo pour seul public. Alors étudiante en sciences, elle découvre la possibilité d’une relation politique et métabolique au monde contrastant avec une étude de la nature servant à mieux en extraire les ressources. De cet ancrage naît une pensée de « la peinture comme chair, comme interface avec le monde ». La peinture corporelle, le son, le mouvement et une ample panoplie de symboles convergent pour donner forme à une pratique de la performance comme rituel. Que ce soit dans l’espace public (Studio Dakar, Dak’ART OFF, Dakar, 2018, Le Sang des innocents, Paris, 2024), dans les salles de musées (musée du Quai Branly de Paris, musée des Civilisations noires de Dakar) ou de galeries d’art (galerie Cécile Fakhoury, Paris), l’artiste manifeste une énergie qui vise à réactiver la force politique du corps.
D. Dalléas Bouzar introduit la broderie dans son œuvre avec ADAMA (2016), qui retrace au fil doré les étapes de la vie d’une femme rythmée par l’institution patriarcale du mariage. Dans Vaisseau infini (palais de Tokyo, 2023), la broderie, que l’on associe typiquement au labeur féminisé, interagit avec une poétique millénaire remontant à l’aube de l’humanité. Réalisée avec des brodeuses de Tlemcen, l’installation retranscrit les peintures rupestres du site de Tassili N’Ajjer au sud de l’Algérie. Les dessins anthropomorphiques des ancêtres du néolithique invitent à décentrer le passé algérien de son héritage colonial. L’artiste prolonge ainsi le travail de mémoire réparatrice entamé avec Algérie année 0 (2011) et Princesses (2015-2016) qui mobilisent des archives de la guerre d’Algérie (1954-1962) dans une histoire de résistance et d’insoumission. Ce geste, dit l’artiste, devait passer par la peinture, qu’elle identifie comme l’une des sources vitales du pouvoir de l’Occident : « ce pouvoir de l’image ».
La pratique de D. Dalléas Bouzar tisse le fil d’un récit capable de suturer les blessures de l’histoire. La myriade de personnages historiques, mythiques et fantasmés qui habitent son travail l’a accompagnée, entre autres, à la Biennale de Dakar, celle du Caire, à la Fondation H de Madagascar, à la SAFFCA de Johannesburg, ou encore à Berlin où elle est sélectionnée en 2013 pour le Goldrausch Kunstlerrinnenprojekt.
Une notice réalisée dans le cadre du programme +1.
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