Sturtevant: Drawings, 1988-1965, cat. expo., Bess Cutler, New York (22 octobre – 16 novembre 1988), New York, Bess Cutler, 1988
→Sturtevant: Drawing double reversal, cat. expo., Museum für Modern Kunst, Francfort (1 novembre 2014 – 1 février 2015) ; Albertina Wien, Vienne (14 février – 17 mai 2015) ; Museum für Gegenwart, Berlin (30 mai – 23 août 2015), Zurich, JRP/Ringier, 2014
→Surtevant Sturtevant, cat. expo., Museo d’Arte contemporanea Donnaregina, Naples (1 mai – 21 septembre 2015), Milan, Electa, 2015
Elaine Sturtevant, Museum für Moderne Kunst, Francfort, 25 septembre 2004 – 30 janvier 2005
→Sturtevant: double trouble, Museum of Modern Art, New York, 9 novembre 2014 – 22 février 2015 ; Museum of Contemporary Art, Los Angeles, mars – juillet 2015
Artiste multimédia états-unienne.
L’œuvre d’Elaine Sturtevant, événement dans l’histoire de l’art, remet en question la représentation et la reproduction. Depuis son apparition, il y a plus de cinquante ans, elle piège le discours critique et la rhétorique postmoderne, la grille de lecture fondée sur le détournement post-duchampien. Sa grande rétrospective en 2004 au Museum für Moderne Kunst de Francfort ne démentait pas son intitulé : The Brutal Truth, « vérité brutale » qui révèle que ses œuvres ne sont pas des copies. Elle pose, de manière inaugurale, la question de l’autonomie de l’art. Dès le début des années 1960, son travail consiste à répliquer des œuvres, comme celles de Jasper Johns, Andy Warhol, Marcel Duchamp, Joseph Beuys, Roy Lichtenstein, juste avant qu’elles ne soient reconnues sur la scène internationale, témoignant ainsi d’une intuition critique et d’une capacité à distinguer les courants d’une histoire en train de s’écrire. Son projet est, à l’origine, perçu comme violent ou provocateur, pour ne pas dire inqualifiable. Souvent associée à tort au courant appropriationniste des années 1980, son œuvre l’anticipe et se démarque radicalement des procédures de reproduction de Sherrie Levine (1947), de l’entreprise politique de désacralisation de Mike Bidlo ou de Philip Taaffe. À l’écart de ces pratiques, elle se développe en parallèle du mouvement de la pensée historienne de Michel Foucault et de la philosophie deleuzienne.
Elle se concentre ainsi depuis plusieurs décennies sur le pouvoir de l’art et des images, sur les principes de clonage, et préfigure de manière visionnaire l’impact de la cybernétique et de la révolution digitale, révolution qui n’est que la promesse de fausses subversions et qui achève de rendre techniquement caduque la réplique handmade pour ouvrir sur le règne du simulacre et de la diffusion simultanée. Mais ce qui l’intéresse encore davantage dans cet âge numérique, c’est le renversement des valeurs, des hiérarchies de la réalité et de ses représentations. « Mes pièces reflètent notre cybermonde d’excès, d’entraves, de transgression et de dilapidation […] Autrefois, la force supérieure, c’était celle du savoir, de l’intelligence, de la vérité. Aujourd’hui, la force supérieure, c’est haïr, tuer, tandis que le masque de la vérité recouvre le pouvoir dangereux du mensonge », écrit-elle (2007). Dans l’axe central de sa production apparaissent sans cesse deux figures fondamentales : M. Duchamp et A. Warhol. S’il est une chose acceptée aujourd’hui dans l’art, c’est la possibilité pour un artiste de réaliser le « programme » d’A. Warhol. Mais E. Sturtevant est peut-être la seule à en avoir intégré la véritable logique des choses (au détriment de la logique du sens), celle de la série, de la surface, de la machine. La projection circulaire de Dillinger Running Series (2000) en est un des exemples les plus remarquables, et révèle dans le mouvement de la marche celui de la machine au centre de l’espace. Ses vidéos sont faites de plans-séquences en boucle, où tout semble être livré au réel, comme seul événement. La caméra ne fait pas plus corps avec le sujet qui filme qu’avec l’objet qu’elle filme. Elle enregistre le passage d’un corps et d’un objet.
Les installations de films et de vidéos montrent à quel point cette production des dix dernières années outrepasse et renouvelle toutes les questions d’origine : celle de la pulsion, du voir et du faire, des mécanismes d’évidement et de répétition, celle de la pornographie, bien sûr, qui synthétise toutes les autres. Une de ses installations les plus puissantes, The Dark Threat of Absence/Fragmented and Sliced [La menace obscure de l’absence/fragments et tranches, 2002], composée de sept moniteurs disposés en ligne, pervertit les modes d’interprétation et de perception : il ne s’agit en aucun cas d’une référence à la vidéo de Paul McCarthy, The Painter, et encore moins de peinture, mais de la grande fabrique mondialisée des images : toutes ces images de mutilation, d’excès, de disjonction, de transgression, de peur et d’épuisement, qui se fixent et clignotent sur les écrans. À partir de ce principe de fragmentation, l’artiste empêche l’adhésion, suspend la jouissance, la porte aux limites de la frustration, d’une forme de violence dans le langage, car le langage tient ici évidemment une place déterminante, qui s’oppose au bruit de fond et qui résiste de tout son « biopouvoir » à l’inertie.