Catherine David, Marc Glimcher, Huong Dodinh: Transcendence, entretien avec Olivia Sand, cat. exp., Pace Gallery, New York [3 mai– 16 août 2024], New York, Pace Publishing, 2024
→Hervé Mikaeloff, Amin Jaffer, Gabriella Belli, Huong Dodinh, Ascension, cat. exp., Museo Correr, Venise [23 avril – 6 novembre 2022], Paris et Venise, Cassi Edition, 2022
→Sophie Makariou, Hervé Mikaeloff, Huong Dodinh: À la conquête de la lumière, cat. exp., Musée national des arts asiatiques – Guimet, Paris [20 octobre –13 décembre 2021], Paris Hemeria, 2021
Huong Dodinh: Transcendence, Pace Gallery, New York, 3 mai–16 août 2024
→soft and weak like water, 14th Biennale de Gwangju, temple bouddhiste Mugaksa, Gwangju, Corée du Sud, 7 avril –9 juillet 2023
→Huong Dodinh: Ascension, Museo Correr, Venise, 23 avril – 6 novembre 2022
→Huong Dodinh: A la Conquête de la Lumière, Musée national des arts asiatiques – Guimet, Paris, 20 octobre –13 décembre 2021
Peintre franco-vietnamienne.
Huong Dodinh quitte le Vietnam en 1953, et arrive définitivement en France avec sa famille fuyant la guerre. Elle va connaître avec parents et fratrie la gêne, quelques années après l’arrivée et des placements malheureux. À huit ans elle éprouve les rigueurs de l’internat et de l’hiver français près de Rambouillet, mais est illuminée par la neige. Elle jouera un rôle essentiel dans son orientation vers la peinture. La neige est la lumière qui manquait à ce nouveau pays car, définitivement, comme elle le dit encore aujourd’hui, H. Dodinh n’est « pas d’ici ». La neige l’acclimate, produisant un effet d’intense éblouissement comparable aux lumières mouillées du Vietnam de sa prime enfance. La lumière sera sa langue et le demeurera au-delà des difficultés d’apprentissage du français. Déjà elle exprime par la peinture une forme de séclusion dans un espace et un pays propres, grâce à la première boîte de gouache que lui offrent ses parents. Durant des années de maladie (1961-1964), H. Dodinh poursuit ce chemin : elle sera peintre malgré la réticence de son père. Au cours de la seconde moitié des années 1960, elle est formée à l’École des beaux-arts à Paris. Elle rencontre un jeune étudiant en chimie vietnamien, Lan Do Dinh, qu’elle épouse en 1970. S’il n’a pas de rôle dans la « fabrique » de la peinture de H. Dodinh, il lui permet de comprendre les propriétés techniques des matériaux. La violence de la guerre du Vietnam, les événements de mai 68 l’incitent plus que jamais à cultiver son pays intérieur, la peinture.
Elle mène parallèlement une activité d’enseignante en arts plastiques. Dans les années 1980 et au début des années 1990, elle participe à plusieurs salons, où elle est distinguée par des premiers prix (Deauville, Cannes, Paris, Toulouse, etc.) et suscite l’intérêt de galeristes (Marie-Thérèse Cochin, Pierre Matisse, Peter Meyer…). En 1994, sa rencontre avec le père dominicain Jacques Laval, proche de nombreux·ses artistes, est déterminante. Il lui commande une œuvre pour le couvent Saint-Jacques à Paris et l’amène à exposer au FRAC Champagne-Ardenne, à Reims.
À la fin des années 1990, elle déborde timidement des frontières de la France et expose à plusieurs reprises en Allemagne. Pourtant, même si elle est identifiée par un cercle d’initié·es, elle demeure une artiste peignant dans son atelier-cellule d’un sixième étage parisien, ne montrant pas ses œuvres. H. Dodinh prépare elle-même ses couleurs, maroufle ses toiles. Chacune de ses opérations prend part au processus intime de sa création, à l’entrée dans « cette peinture-là », en train de se faire, à nulle autre réductible.
S’accumulent dans l’atelier inondé de lumière, où elle se rend très tôt le matin, quarante années de travaux. Elle peint à même le sol. Elle procède avec une concentration de tout son être qui lui fait tracer à main levée des cercles parfaits, en un souffle, des lignes qui modulent imperceptiblement l’espace de silence et de mélodie de ses toiles. Un art du nombre qui n’a rien de froidement intellectuel, mais tout de profondément harmonique et méditatif par la patiente superposition de voiles de peinture, créant une géométrie de l’interstice.
Dans T2, 1992, H. Dodinh fait encore vibrer la palette venue des brumes lumineuses de son pays d’enfance : on perçoit l’écho des pluies de mousson qui tombent en rideaux fins et denses dans la vibration de ses voiles superposés de pigments naturels, d’un vert tirant sur le jaune. Avec délicatesse s’y posent des traits horizontaux discontinus – noirs, blancs –, lignes vivantes qui s’étagent comme le souvenir des échelles que forment les rizières dans le paysage vietnamien. On retrouve là l’écho de ses premiers pastels. Depuis longtemps déjà la géométrie est là, qui a simplifié, épuré son paysage. Si le signe a changé, dans N.H.N. 1, 2023, on entend pourtant la musique si particulière de H. Dodinh, intacte, simplement modulée. Dans un format carré, la gamme est passée au mauve léger, allié de blanc et de gris ; les fines horizontales ont laissé place à un jeu de carrés et de rectangles, qui se juxtaposent autant qu’ils se superposent, ponctués parfois par l’apparition discrète de traits blancs. À peine les note-t-on. Mais on retrouve la même sensation d’un espace sans pareille, la toile ne connaît pas de limite, elle nous ouvre définitivement à un « arrière-pays », dans le sens très exact qu’Yves Bonnefoy donnait à ce terme : un arrière-pays mental qui promet un voyage sans fin, qui met en échec la définition géométrique de l’espace et celle d’une continuité linéaire du temps.
Repérée par la plateforme CMS, elle tient sa première exposition d’importance à 76 ans, au musée Guimet (2021). Elle intègre la Pace Gallery qui lui consacre rapidement deux solo shows.