Prix AWARE

Barbara Chase-Riboud
Lauréate du Prix d’honneur 2021

Courtesy Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York, © Photo : Grant Delin

Goddess of Memory

Barbara Chase-Riboud, née en 1939, raconte qu’elle a commencé la sculpture quand elle était enfant, avec une pugnacité certaine : à sept ans, elle est inscrite aux cours du musée de Philadelphie et du Fleischer Art Memorial, où elle reçoit le prix de sculpture des cours du soir pour adultes. À seize ans, une de ses œuvres est acquise par William S. Lieberman, qui ignore alors tout de l’artiste, et ensuite offerte au MoMA (le musée possède aujourd’hui quatre de ses œuvres ; l’une d’elles fait partie de l’accrochage permanent). La sculpture a été présentée à l’ACA Galleries, à New York, après que Barbara Chase-Riboud a gagné un concours organisé par le magazine Seventeen. Pugnacité, et quelque chose de l’enfant prodige, même si cela revient à entrer dans une certaine logique narrative, alors que l’artiste en parle beaucoup plus simplement : elle a toujours eu envie de faire des sculptures, un petit vase d’inspiration grecque à sept ans, un bois sculpté à seize ans – pour elle, tout cela fait partie de sa vie, de sa pratique, de son catalogue raisonné, au même titre que ce qui viendra ensuite, que ce qui vient encore. Et les productions d’antan, de l’enfance, n’ont pas une moindre valeur.

Barbara Chase-Riboud - AWARE Artistes femmes / women artists

Barbara Chase-Riboud, Mao’s Organ, 2007, cordon en bronze poli et soie rouge, © Michael Rosenfeld Gallery, LLC NY, © Barbara Chase-Riboud

Barbara Chase-Riboud - AWARE Artistes femmes / women artists

Barbara Chase-Riboud, Zanzibar Table Gold, 1972, bronze poli, soie et lin, 38,7x 33 x 32,4 cm, courtesy Barbara Chase-Riboud ,© Barbara Chase-Riboud

Nous sommes maintenant à la fin des années 1950 et Barbara Chase-Riboud voyage : en Italie, en Égypte, en Grèce, en Turquie, là aussi en se laissant guider par une forme de confiance faite de rencontres, d’occasions, de hasards et de tentatives audacieuses. Ses lieux de vie et de voyage nourrissent alors un imaginaire formel déjà marqué par la sculpture classique et par le baroque, et l’ouvrent à une histoire de la sculpture non occidentale. Elle a décrit les douze mois passés en Italie, à partir de 1957, comme « magiques », et participe en 1958 au premier festival des Deux Mondes de Spolète, avec une exposition personnelle. Elle y vend une sculpture à l’artiste Ben Shahn, qu’elle admire, rencontre Robert Rauschenberg, Cy Twombly, Mimmo Rotella et Domenico Gnoli. Elle fait également la connaissance de René Burri en Égypte. Pour gagner sa vie, elle travaille, à Rome, aux studios de cinéma de Cinecittà, notamment à la conception de décors de péplums. Elle fait toutes sortes de menus travaux sur le tournage de Ben-Hur, ce qui lui permet de commencer à travailler, pour son compte personnel, avec la fonderie Bonvicini à Vérone. Mais Barbara Chase-Riboud écrit aussi. Et comme elle l’explique, elle tire toujours son équilibre économique de ses différentes activités artistiques : lorsque, dans les années 1970, elle ne vend pas encore assez de sculptures pour en vivre, ses publications connaissent un succès qui lui assure des revenus confortables.

Barbara Chase-Riboud - AWARE Artistes femmes / women artists

Barbara Chase-Riboud, Monument to Man Ray’s The Enigma of Isidore Ducasse Philadelphia, 1996, fusain, crayon fusain, encre avec gravure et aquatinte sur papier, 80 x 60,3 cm, courtesy of Michael Rosenfeld Gallery LLC, New York, © Barbara Chase-Riboud

Barbara Chase-Riboud publie son premier roman en 1979, après avoir découvert l’histoire de Sally Hemings et Thomas Jefferson, l’histoire d’une relation amoureuse entre une Noire asservie et un ancien président des États-Unis. C’est Toni Morrison, son éditrice chez Random House (où elle a publié en 1974 le recueil de poèmes From Memphis & Peking), qui la pousse à s’atteler à l’écriture de ce récit qui la taraude. Sally Hemings (La Virginienne en français) sort en France en 1981. Ouvrage de fiction, il fait cependant scandale, notamment auprès de certain·e·s historien·ne·s qui nient la véracité de cette relation et l’existence des enfants du couple. Barbara Chase-Riboud gagne le prix Janet Heidinger Kafka avec ce roman, qui se vend à plus d’un million d’exemplaires dans le monde.

Barbara Chase-Riboud - AWARE Artistes femmes / women artists

Barbara Chase-Riboud, All That Rises Must Converge Red, 2008, bronze rouge, soie et soie synthétique, 187,96 x 106,68 x 71,12 cm, Collection particulière, © Barbara Chase-Riboud

En proposant Barbara Chase-Riboud au prix d’honneur AWARE, nous nous sommes interrogé·e·s sur la visibilité relativement mineure de son œuvre en France aujourd’hui. Quand j’ai découvert – et immédiatement profondément aimé – son travail il y a plusieurs années, j’ai cherché en vain une monographie en français, ou à accéder à des pièces exposées de manière permanente dans une institution parisienne, et j’ai espéré l’annonce d’une rétrospective quelque part dans notre pays. Le travail de Barbara Chase-Riboud a pourtant été montré par Suzanne Pagé au musée d’Art moderne de la Ville de Paris/ARC dans les années 1970 ; elle a été faite chevalière des Arts et des Lettres en 1996, et deux de ses sculptures font partie des collections du Centre national des arts plastiques (Cnap), acquises en 1972 et 1984. La question est bien sûr d’abord structurelle. Elle concerne le sort en général des artistes femmes dans les années 1960, mais aussi celui d’une femme états-unienne en France, une femme qui ne pratiquait pas une sculpture minimale et conceptuelle, une femme qui était aussi une poétesse et une autrice reconnue, une femme dont l’art est politique, et une femme qui était aussi l’épouse, du début des années 1960 au début des années 1980, du photographe français Marc Riboud.

Barbara Chase-Riboud - AWARE Artistes femmes / women artists

Barbara Chase-Riboud, The Albino, 1972, bronze à patine noire, laine et autres fibres, 457,2 x 320 x 76,2 cm, MoMA, © Barbara Chase-Riboud

Quoi qu’il en soit, le travail de sculpture de Barbara Chase-Riboud est épique et inoubliable, et c’est sur cela qu’il me faut, évidemment, achever ce texte : plus de soixante-dix ans d’une production prolifique, intense, concentrée, parfois monumentale, parfois relevant le défi de la pérennité dans l’espace public. Une sculpture où s’invente un vocabulaire unique ; qui décide de contourner le socle, de colorer le bronze, de nouer la soie, de dialoguer avec des poèmes, de convoquer le passé et de rendre hommage (comme dans la série des stèles à Malcolm X débutée à la fin des années 1960), encore et encore. Africa Rising (1998), hommage à Sarah Baartman, la plus grande sculpture de Barbara Chase-Riboud, mesure plus de cinq mètres de haut et se trouve au 290 Broadway, à New York, à l’entrée du Ted Weiss Federal Building. Ce monument a été distingué en 1997 par la US General Services Administration. Après la mort de George Floyd au mois de mai 2020, alors qu’était discuté le déboulonnage de bronzes représentant des hommes esclavagistes, Barbara Chase-Riboud proposait d’ériger Africa Rising en lieu et place de la statue équestre représentant Theodore Roosevelt conquérant devant l’American Museum of Natural History de New York.

Eva Barois De Caevel

 

Barbara Chase-Riboud est née en 1939 à Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis). Elle vit et travaille entre Paris, Rome et Milan. Sculptrice, poète et romancière, Barbara Chase-Riboud débute sa formation en art à l’âge de sept ans au Philadelphia Museum et au Fleisher Art Memorial ; alors qu’elle n’a que seize ans, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York acquiert une de ses premières œuvres. Elle étudie à l’université Temple et à l’université de Yale où elle est la première femme noire américaine à être diplômée de l’École d’Architecture. À Rome, de 1957 à 1959, elle crée ses premières sculptures en bronze et bénéficie de ses premières expositions personnelles en galerie. Pendant son séjour à Rome, elle visite Paris, mais aussi l’Égypte, la Grèce, la Turquie et découvre l’art non occidental. En 1961, elle s’installe à Paris et épouse le photographe français Marc Riboud. Son travail artistique a depuis été largement exposé dans de nombreuses institutions aux États-Unis, en France et ailleurs dans le monde (Japon, Australie, Allemagne…). Barbara Chase-Riboud est également célébrée pour son activité littéraire. En 1974, elle publie son premier recueil de poésie, From Memphis & Peking, qui lui vaut les éloges de la critique. Puis, en 1979, elle publie son premier roman, La Virginienne (Sally Hemings). Ses romans ont reçu de nombreux prix, dont le prix Janet Heidinger Kafka.
Elle a publié une dizaine de romans et recueils de poésie. Les principales institutions ayant des œuvres de Barbara Chase-Riboud dans leurs collections permanentes sont le Berkeley Art Museum (Californie) ; le Metropolitan Museum of Art (New York) ; le Museum of Modern Art (New York) ; le Newark Museum (New Jersey) ; le New Orleans Museum of Art (Louisiane) ; le New York Historical Society Museum (New York) ; le Philadelphia Museum of Art (Pennsylvanie) ; le Smithsonian African American Museum (Washington D.C.) ; et le Studio Museum à Harlem (New York) ; le Centre national des arts plastiques (France).

 

Eva Barois De Caevel est curatrice, critique d’art, éditrice, et enseigne l’histoire de l’art. Elle intervient régulièrement dans des conférences et des colloques internationaux. Ses champs de travail sont le féminisme, les études postcoloniales, le corps et les sexualités, la critique de l’histoire de l’art occidentalo-centrée, ainsi que le renouvellement de l’écriture et de la parole critiques. Elle aborde ces aires de recherche « en ayant toujours à l’esprit les relations de pouvoir entre continents, pays, personnes », et s’attelle à infléchir celles-ci « dès qu’une petite prise de pouvoir s’amorce ». Elle a, ces dernières années, partagé son temps entre le continent africain (Dakar notamment, où elle collabore de longue date avec RAW Material Company, espace d’art et de partage et plateforme éditoriale dédiée à l’art contemporain) et l’Europe (Paris en particulier). Elle vit aujourd’hui à Pantin, en Seine-Saint-Denis.
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