Prix AWARE

Basma al-Sharif
Nommée au Prix 2024

© Galerie Imane Farès

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

Everywhere was the same, 2007, vidéo DV, couleur et son, 11 min 38 sec

Courtesy Galerie Imane Farès

« Il est temps que nous racontions notre propre histoire » : la phrase, extraite de la déclaration du médecin et militant palestinien Haydar Abd al-Shafi à la conférence de Madrid en 1991, s’entend dans la vidéo de Basma al-Sharif Everywhere Was The Same (2007). Elle incarne le projet, dense et fort, qui meut l’artiste et son travail de photographie, vidéo et film, présenté dans des projections et installations, et associant pièces sonores, textes, dessins, collages et meubles.

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

The story of milk and honey, 2011, vidéo SD, couleur, son, 9 min 45 sec

Courtesy Galerie Imane Farès

B. al-Sharif aborde l’histoire de la Palestine, la vie dans les territoires et les diasporas, l’exil, les conséquences de la colonisation et de l’occupation israéliennes, mais aussi les subjectivités et les regards que cette histoire a façonnés. « Plutôt que d’explorer la Palestine à travers l’expérience que j’en ai en tant qu’étrangère, je suis maintenant curieuse d’explorer le monde à travers la Palestine, en tant que personne qui est originaire de nulle part 1 », a expliqué l’artiste – une perspective que le critique et cinéaste israélien Eyal Sivan a qualifiée de « post-palestinienne2 ». The Story of Milk and Honey (2011) apparaît comme un manifeste : la vidéo décrit la tentative ratée, à Beyrouth, d’une recherche d’un « Moyen-Orient dépourvu de contexte politique » et réfléchit à la possibilité (ou non) de réunir histoire, politique et amour dans un même récit.

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

Ouroboros, 2017, Long métrage, vidéo HD et film 16mm, couleur, son
77 min

Courtesy Galerie Imane Farès

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

Ouroboros, 2017, Long métrage, vidéo HD et film 16mm, couleur, son
77 min

Courtesy Galerie Imane Farès

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

Ouroboros, 2017, Long métrage, vidéo HD et film 16mm, couleur, son
77 min

Courtesy Galerie Imane Farès

Chaque œuvre de B. al-Sharif contribue au portrait d’une subjectivité fragmentée, désorientée et collective : si le « je » est souvent impersonnel, le montage assemble différents récits qui racontent des trajectoires partagées. Non narratifs, convoquant de multiples sens et émotions, films et vidéos donnent à voir exils et retours, possibles et impossibles. La question même du « retour » est omniprésente, telle qu’elle hante les vies palestiniennes diasporiques. Ouroboros, titre du premier long métrage de l’artiste (2017), signifie ainsi « éternel retour ».

Le régime des images suscite une interrogation permanente : lesquelles produire de la Palestine, et en particulier de Gaza ? Elles sont déjà abondantes, avant tout images de guerre et d’anéantissement, produites par les médias, recyclées et presque stéréotypées à mesure que l’histoire semble se répéter. Comme forme de résistance, B. al-Sharif cherche à représenter autrement la vie palestinienne, voire à témoigner de la vie tout court, dans des scènes qui pourraient être banales (d’urbanisme et de rues, d’habitants et d’animaux, de la mer), non sans poésie et humour (Home Movies Gaza, 2013).

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

a Philistine, 23 mars — 13 juillet 2023, galerie Imane Farès.

Photo : Tadzio

Le multi-écrans s’avère remarquablement puissant pour juxtaposer et confronter différentes images – par exemple avant et après la destruction. La violence et la domination dans l’histoire des images sont ponctuellement convoquées, qu’il s’agisse des représentations orientalistes (A Philistine ; Les Barbares, 2023), du genre italien des « telefoni bianchi », promouvant valeurs sociales conservatrices et réussite matérielle bourgeoise dans l’Italie des années 1930 (Capital, 2022-2023), ou encore des « films de cannibales », donnant à voir l’extermination de peuples constitués comme « primitifs » (Field Guide To The Ferns, 2015).

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

A Land Without A People (1)-(10), 2018, impressions jet d’encre sur papier réalisées à partir de scans de négatifs couleur 120 mm

Courtesy Galerie Imane Farès

Basma al-Sharif - AWARE Artistes femmes / women artists

O’ Persecuted, 2014, Film 16 mm transféré en vidéo HD, couleur et son, 11 min 37 sec

Courtesy Galerie Imane Farès

Le lieu et le temps sont deux motifs centraux dans l’œuvre de B. al-Sharif, qui prête une attention aiguë à la géographie, à l’espace et aux paysages, urbains ou naturels, réels, disparus ou utopiques, diurnes ou nocturnes ; diverses manipulations plastiques décomposent et recomposent leurs formes et délimitations. Territoire enclavé qu’il s’agit de désenclaver, la Palestine est mise en relation avec d’autres paysages, ceux de la vie diasporique, d’autres également traversés par la colonisation, l’impérialisme et l’autoritarisme (A Land Without A People, 2018). Quant au temps, c’est celui de l’histoire : les archives sont projetées et refilmées, voire altérées, introduisant une distance par rapport au passé, soulignant le caractère problématique de sa nécessaire relecture (O, Persecuted, 2014). Exemple d’usage précis des techniques du cinéma expérimental, l’inversion temporelle est utilisée à plusieurs reprises, laissant l’œil désorienté, comme une manière de remonter le cours de l’histoire.

Le corps, enfin, occupe une place majeure : corps lesté du passé, corps empêchant le regard, mais également corps autonome et en mouvement, dansant, jouant d’un instrument de musique, désirant ; un corps qui est, souvent, un corps de femme. La cohabitation et la superposition des langues jouent aussi un rôle primordial, de même que les musiques, telles celles de Fairouz, Abdel Halim Hafez, Nagat Al-Saghira ou encore Nino Ferrer. Aux côtés de la fiction, qui se déploie particulièrement dans les œuvres récentes, elles concourent au projet de B. al-Sharif, comme elle le précisait au sujet d’Ouroboros : partager « la possibilité de l’espoir au-delà du désespoir », interroger « ce que c’est d’être humain quand l’humanité a échoué3 ».

Antoine Idier

 

Née au Koweit en 1983 d’une famille palestinienne, Basma al-Sharif a grandi en France et aux États-Unis. Elle est diplômée de l’Université de l’Illinois, Chicago. Vivant et travaillant de manière nomade, elle s’est notamment installée à Gaza, à Paris, au Caire, à Los Angeles, à Amman et à Berlin. Elle a été professeure invitée au Fresnoy (en 2022-2023).

Son travail a, entre autres fait l’objet d’expositions personnelles au Art Institute of Chicago, au SALT Galata à Istanbul, au Center for Contemporary Art de Glasgow, au Museum of Contemporary Art de Toronto ou encore à la Sharjah Art Foundation, Sharjah. Il a été montré dans de très nombreux festivals et biennales, et figure dans les collections de l’Art Institute of Chicago, du Fonds d’art contemporain de Paris, de la Fondation Kadist, du CNAP, du Frac Bretagne, de la Foundation Sharjah Art, de la Fondation Marcelino Botin ou encore du Frac Corse.

1
Aily Nash, « Basma Alsharif. Working with, and through, conflict », Bomb Magazine, 12 mars 2015.

2
Eyal Sivan, « Un observateur en attente de ne plus attendre », texte pour l’exposition Doppelgänging, Paris, galerie Imane Farès, 3 avril-30 juillet 2014.

3
Synopsis d’Ouroboros, 2017.

Antoine Idier est maître de conférences en science politique à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, où il coordonne les enseignements "Art & culture" et dirige le Master Politiques de création. Il a publié de nombreux ouvrages, dont Les Vies de Guy Hocquenghem. Politique, sexualité, culture (Fayard, 2017), Archives des mouvements LGBT+ (Textuel, 2018), Pureté et impureté de l’art. Michel Journiac et le Sida (Sombres torrents, 2020) ou encore Résistances Queer. Une histoire des cultures LGBTQI+ (avec Pochep, Delcourt/La Découverte, 2023). Il a édité des écrits de Guy Hocquenghem (Un journal de rêve, Verticales, 2017) et de yann beauvais (Agir le cinéma, Presses du réel, 2021). En 2022-2023, il a été commissaire de l’exposition « Dans les marges. Trente ans du fonds Michel Chomarat à la bibliothèque de Lyon ». Pour un projet en cours d’écriture, il a également reçu une bourse de recherche de la fondation Robert Rauschenberg.
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