Ne pas être ou disparaître ?
Telle a été la question pendant des siècles pour la grande majorité des artistes femmes, qui ont été confrontées à une version ubuesque du dilemme shakespearien : ne pas être – faute d’être reconnues ou vues de leur vivant – ou disparaître – faute de traces visuelles ou de commentaire critique ? C’est aujourd’hui depuis un mois le sort de presque tou·te·s les artistes, quel que soit leur genre, dont l’œuvre ne peut plus être vue « en vrai » dans les collections permanentes muséales, les expositions monographiques et collectives, les galeries, foires et maisons de vente, et dont les conditions de travail sont fragilisées à la suite du confinement quasi mondial. Parfois coupé·e·s de leurs ateliers, réduit·e·s à travailler chez eux·elles, privé·e·s des moyens de la vente de leur travail et sans témoins, les artistes expérimentent-il·elle·s en 2020 la condition de l’être-femme pendant des siècles ?
Pas tout à fait, si l’on en croit la multiplication des expositions et mises en valeur de collections permanentes virtuelles, où, en ce début du XXIe siècle, l’on espère trouver une place plus juste pour les artistes femmes. Reste à vérifier si, grâce aux technologies actuelles, à l’accélération de la création et de l’échange des données et à la mondialisation de la recherche, ces ressources en ligne sont plus respectueuses de la parité que ne le sont la constitution des collections permanentes et la programmation des expositions.
Difficile de révolutionner plus d’un siècle d’acquisitions : les statistiques de l’Observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, réalisées chaque année par le ministère de la Culture, semblent également s’observer dans les grandes collections du monde entier, compensées par l’exercice autocritique de certaines des plus prestigieuses institutions anglo-saxonnes. L’importante présence des artistes femmes au sein du nouveau MoMA trouve un écho dans le travail de mise à disposition de ressources en ligne, notamment à travers des valorisations thématiques. La Tate, remarquée lors de la réouverture de la Tate Modern en 2016 pour la proportion unique d’artistes femmes dans ses salles, leur consacre sans surprise un onglet spécifique sur son site Internet. En France, la mise en ligne des collections ressemblerait souvent à une mise au pas si chaque grande collection ne faisait l’effort de rendre plus visibles les quelques œuvres d’artistes femmes qui figurent à l’inventaire. La base POP du ministère de la Culture recense 50 noms de femmes sur les 608 noms référencés pour des mentions dans les notices liées aux domaines de la peinture, de la photographie et de la sculpture au XXe siècle. Celles-ci bénéficient cependant d’un accès thématique depuis la page d’accueil de cette même base, et d’un article dédié sur le site du ministère. La BnF leur consacre une bibliographie, tandis que le Cnap propose désormais un filtre de recherche par genre sur la base de données de sa collection en ligne. Toutefois, l’exercice du passage au virtuel s’apparente trop souvent à une mise à nu d’inégalités dont on avait espéré qu’elles étaient pourtant passées de mode : sur le site pédagogique « Panorama de l’art », conçu par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais avec le secrétariat général du ministère de la Culture et de la Communication, l’onglet « XXe siècle » ne présente que 2 femmes sur 26 artistes ; dans les expositions virtuelles de la Cité de l’architecture et du patrimoine, on compte seulement 1 femme pour 12 hommes.
Être (virtuellement) présentes faute d’être (réellement) exposées : un challenge encore difficile à relever pour les artistes femmes dans les institutions.