Anu Põder a étudié la sculpture à l’Institut des beaux-arts d’Estonie (1970-1976). Malgré le Mur et la fermeture de l’URSS, le pop art s’est infiltré et influence très tôt ses créations, surtout dans son utilisation des matières et des objets quotidiens. Ses premières œuvres expriment des tensions à travers des matières contrastées et des formes parfois abstraites mais dérivées du corps humain (Ühel jalal Lasnamäelt, « Sur une jambe depuis Lasnamäe », 1986). Ses poupées aux poses raides, composées de formes féminines en textiles rugueux caparaçonnées de morceaux de mannequin en plastique, renvoient aux contraintes pesant sur le corps des femmes dans la société, en particulier en Union soviétique (Istuma pandud suur nukk, « Grande poupée mise en position assise », 1982 ; Astuma pandud nukk, « Grande poupée que l’on fait marcher », 1984).
À partir de 1990, A. Põder s’inspire de plus en plus du monde rural dont elle est issue, y empruntant des vêtements (Vana valgus, « Lumière ancienne », 1995 ; Lõige kui märk, « Ma coupe comme signe », 1996), des meubles (Üks neljandik lauast, « Un quart de la table », 2002 ; Oksaaugud, « Trous de branche », 2003), des objets divers (Kärg, « Rayon de miel », 2007) et des matières. Elle donne au savon préparé dans les fermes des formes inspirées par la vie paysanne : moulages de langues de bœuf (Keeled, « Langues », 1998) ou de l’intérieur de lourdes bottes d’homme (Kirsa, 20. Sajandi mehe jalaruum, « Botte, l’espace du pied de l’homme du XX^e siècle », 1998). Elle décortique ces vieux objets pour en montrer le contenu et compose ainsi une empreinte singulière de l’histoire récente de l’Estonie.

L’œuvre d’A. Põder est corporelle : pour la comprendre, il faut en faire l’expérience physique. Le sens de ses œuvres réside dans leur matière. Bien qu’elle ne se réclame pas explicitement du féminisme, son travail est clairement porté par l’expérience et la sensibilité féminines.