Hershman Leeson Lynn, The Floating Museum 1974-1978, San Francisco, Hotwire Productions, LLC., 2021
→Himmelsbach Sabine éd., Lynn Hershman Leeson: Anti-Bodies, Ostfildern, Hatje Cantz, 2019
→Weibel Peter éd., Lynn Hershman Leeson: Civic radar, Ostfildern, Hatje Cantz, 2016
Twisted, New Museum, New York, du 7 juillet au 26 septembre 2021
→Civic Radar, Centre des arts et des technologies des médias (ZKM), Karlsruhe, du 13 décembre 2014 au 6 avril 2015
→The Agent Ruby Files, Musée d’art moderne de San Francisco. San Francisco, du 30 mars au 2 juin 2013
Média-artiste et cinéaste étatsunienne.
Difficile de dresser un portrait unique de Lynn Hershman Leeson. À travers les nombreux personnages, cyborgs et autres robots féminins qu’elle a créés, voire les diverses identités qu’elle endosse tout au long de sa carrière, elle n’a de cesse de remettre en question les conceptions sur le genre, l’identité, l’individualité. En 1968, elle commence par publier des critiques d’art de ses propres œuvres ou de celles d’autres femmes artistes, sous le pseudonyme de trois auteurs fictifs. Elle se transforme ensuite en son alter ego, une certaine Roberta Breitmore, qui est ensuite aussi incarnée par d’autres artistes, dans des performances qui s’étalent de 1973 à 1978. Breitmore est un personnage imaginaire dont les activités dans la vie réelle sont considérées comme emblématiques de celles d’une femme célibataire. Ce moi pluriel qui apparaît dans le travail de L. Hershman Leeson remet en cause nos constructions sociales et nos représentations de l’identité féminine, souvent en réaction aux exclusions et autres préjugés sexistes que subissent les artistes femmes. Au plus fort du mouvement féministe, elle déménage à San Francisco pour poursuivre des études post-universitaires. Se heurtant au manque de soutien et de reconnaissance des musées et des galeries, elle élabore des espaces alternatifs pour exposer des œuvres qui sont alors refusées par les institutions conventionnelles et qui font appel aux nouveaux médias, comme l’aménagement qu’elle fait du Dante Hotel (1973) avec Eleanor Coppola pour une installation propre à ce site. Elle imagine également le Floating Museum (1974-1978), un musée temporaire destiné à soutenir les expériences d’artistes en dehors des cercles traditionnels d’exposition, pour des projets innovants réinventant l’espace public.
Depuis les années 1980, l’artiste a testé divers médias émergents et plateformes novatrices, qu’il s’agisse de vidéo, de cinéma, d’art interactif connecté à l’Internet ou encore d’intelligence artificielle et de biotechnologie. Elle est une des premières à intégrer les écrans tactiles dans une installation interactive sur vidéogramme, Deep Contact (1984-1989). Avant même que le cinéma généralise les décors virtuels, L. Hershman Leeson adopte une technologie similaire dans Conceiving Ada (1998). Dès le début des années 1990, elle se met à utiliser Internet comme support artistique, dans des projets comme Agent Ruby (1998-2002), un agent conversationnel virtuel doté d’intelligence artificielle. Construit à l’aide du métalangage de balisage pour intelligence artificielle (AIML), l’agent Ruby a un visage féminin et sa propre personnalité. Les conversations entre Ruby et les internautes alimentent et façonnent la mémoire, les connaissances et les humeurs de l’entité virtuelle.
Dans les années 2000, L. Hershman Leeson explore de façon critique le potentiel du génie génétique, dont l’aboutissement est Infinity Engine (2014), un projet complexe d’installations multisalles. Son installation Room #8 (2006-2018) contient un flacon d’ADN synthétique encodé d’enregistrements de films et d’archives vidéo de l’artiste sous forme de paquets de données binaires – en d’autres termes, le stockage de son œuvre artistique décomposée en molécule –, ainsi qu’un autre flacon d’anticorps obtenus artificiellement par le génie génétique, avec sur l’étiquette le nom de « LYNN HERSHMAN » et sa structure moléculaire. Elle note alors que les anticorps sont comme les artistes : des agents qui chassent les toxines sécrétées par la culture qui se sont infiltrées dans le corps, afin de tenter de trouver un remède.
Pour L. Hershman Leeson, l’art ne peut être que politique, « sinon, à quoi bon le faire ? Je pense que l’art permet de prendre des risques et par là même d’avoir un formidable écho, » dit-elle. La politique est toujours présente dans son œuvre, qui révèle, de façon visionnaire, les répercussions des avancées technologiques sur la société, y compris leurs limites éthiques, en termes par exemple de surveillance, de censure ou de biosciences. Son œuvre d’avant-garde a rejoint diverses collections publiques dans le monde, et ses archives ont été acquises en 2004 par la bibliothèque des collections spéciales de l’Université Stanford. Elle a été récompensée par le Prix Siemens au Centre des arts et des technologies des médias (ZKM) de Karlsruhe en 1995, par le prestigieux Prix Golden Nica décerné par Ars Electronica à Linz en Autriche en 1999, et par un doctorat honoris causa de l’Institut Pratt de New York en 2023. Elle a également reçu une mention spéciale du jury de la Biennale de Venise, lors de la 59e édition de cette célèbre manifestation internationale d’art contemporain.
Une notice réalisée dans le cadre du programme “Vivre avec deux cerveaux : Artistes femmes dans les nouveaux médias, années 1960 -1990”
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