Prix AWARE

Katia Kameli
Nommée au Prix 2022

© Photo : Louiza Ammi

Katia Kameli - AWARE Artistes femmes / women artists

Katia Kameli, vue d’exposition Elle a allumé le vif du passé, Frac PACA @ Photo: Laurent Lecat

Katia Kameli - AWARE Artistes femmes / women artists

Katia Kameli, Stream of stories Chapter 2, installation, 2017, MACVAL museum

De son enfance et son adolescence passées entre la France, où vit sa mère, et l’Algérie, où elle rejoint son père, Katia Kameli conserve la sensation d’avoir toujours appartenu à deux mondes à la fois. En Algérie, sa double culture lui autorise l’accès aussi bien aux cercles féminins qu’à ceux qui sont réservés aux hommes, et relate à ses cousines ce qui s’y déroule et qu’elles ignorent. C’est à cette époque qu’elle semble avoir développé une sensibilité à démystifier les récits qui prospèrent dans les écarts et les zones d’ombre. Au cours des vingt dernières années, elle a ainsi exploré ce rapport aux origines et au savoir dans une pratique qui allie film, installation et performance, nourrie par des formes photographiques, sonores, théâtrales et dessinées.

Katia Kameli - AWARE Artistes femmes / women artists

Image de The Algerian Novel – Chapter 1, 2016, HD Video, 16” 35’. © Katia Kameli, ADAGP

Katia Kameli - AWARE Artistes femmes / women artists

Image de The Algerian Novel – Chapter 1, 2016, HD Video, 16” 35’. © Katia Kameli, ADAGP

Le travail de Katia Kameli s’attache à examiner les conditions d’écriture de l’histoire. À ce titre, la construction du roman national algérien occupe une place particulière dans son travail, comme dans la vidéo Bledi, un scénario possible (2004) – « l’œuvre qui m’a permis de ne pas lâcher » dit-elle –, le triptyque vidéo Le Roman algérien (2016-2019), la série photographique Mon manuel d’histoire (2018) ou encore Trou de mémoire (2018). Pour cette installation photographique portant sur un monument de l’espace public algérois, Katia Kameli a réuni, sous la forme d’un accordéon d’images, des archives visuelles mettant en évidence un lapsus de l’histoire. En 2012, ce monument se fissure : dans ses interstices, on voit reparaître le Grand Pavois de Paul Landowski, monument aux morts d’Algérie pendant la Première Guerre mondiale, que le sculpteur M’hamed Issiakhem avait coffré en 1978 pour le faire disparaître sans le détruire et le transformer en monument aux héros de l’indépendance. Un nouveau récit, glorieux et émancipé, dissimulait en ses entrailles celui du passé colonial.

Katia Kameli - AWARE Artistes femmes / women artists

Image de The Algerian Novel – Chapter 3, 2019, HD Video, 45”. © Katia Kameli, ADAGP

Méthodiquement, Katia Kameli traite ces retours du refoulé en remontant le fil du passé, pour mieux comprendre ce que les histoires font à l’histoire. Dans Stream of Stories (2015-2022), elle retrace la génétique peu connue du texte des Fables de Jean de La Fontaine, issu du Pañchatantra du IIIe siècle avant notre ère et du Kalila wa Dimna du XIIIe siècle, ainsi que les glissements sémantiques passés inaperçus d’une traduction à l’autre. Dans ces miroirs aux princes aux formes fabulaires, le célèbre adage Traduttore, traditore se double d’une mise en exergue de la fonction politique de ces appropriations littéraires. En faire oublier les origines, c’est gagner la bataille de l’antériorité, du pouvoir et de la légitimité. Pour cette raison, probablement, la pédagogie et la transmission occupent une place particulière depuis le début de la carrière de l’artiste. En 2006 puis en 2011, elle organise à Alger les workshops « Bledi in Progress » et « Trans-Maghreb » à destination de jeunes réalisateurs et réalisatrices d’Algérie, du Maroc et de Tunisie, afin de leur proposer des moyens de produire leurs images et de raconter par eux·elles-mêmes l’histoire de leur pays, dont il·elle·s voient et entendent prospérer les récits appropriés.

Katia Kameli - AWARE Artistes femmes / women artists

Image de The Algerian Novel – Chapter 3, 2019, HD Video, 45”. © Katia Kameli, ADAGP

Jamais un projet de Katia Kameli ne voit le jour sans collaboration et cocréation. Ce tropisme du collectif, qui probablement, souligne-t-elle, lui vient de sa pratique du cinéma, ressurgit dans chacune de ses œuvres. Non seulement toute création de Katia Kameli se vit à plusieurs, mais elle se vit aussi au croisement de pratiques, de champs intellectuels et disciplinaires. Les autrices et auteurs invité·e·s à en 2007 écrire les textes de 7 Acts of Love in 7 Days in Boredom (2012), la militante Wassyla Tamzali, la photographe Louiza Ammi et la philosophe Marie-José Mondzain, appelées dans Le Roman algérien à témoigner de leur expérience de la guerre civile algérienne, de l’indépendance et des années noires, l’autrice Chloé Delaume, qui compose une fable sur les fables pour son exposition au FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur (2021), sont quelques-unes de ces figures qui confèrent au travail de Katia Kameli toute sa singularité.

Camille Richert

 

Katia Kameli est née en 1973 à Clermont-Ferrand. Elle vit et travaille à Paris. Elle se forme à l’École nationale supérieure d’art de Bourges, dans l’atelier viennois de Michelangelo Pistoletto et à la Cittadellarte de Bielle, ainsi qu’au sein du Collège invisible, postdiplôme de l’École supérieure des Beaux-Arts de Marseille. Elle participe à de nombreuses manifestations internationales, parmi lesquelles les Biennales de Bamako (2011), de Dakar (2012 et 2018), de Mannheim (2017) ou encore de Rabat (2019). Après sa première exposition personnelle en partenariat avec Vidéochroniques à Marseille et Transpalette à Bourges (2012), son travail est montré à New York à la Taymour Grahne Gallery (2014), à The Mosaic Rooms à Londres et à la Biennale de Rennes (2016), à la Kunsthalle de Münster (2019), au Konstmuseum de Kalmar (2020) ainsi qu’au FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur à Marseille (2021). Son œuvre est présente dans les collections publiques du Musée national d’Art moderne – Centre Georges-Pompidou, du Centre national des arts plastiques, du Fonds d’art contemporain – Paris collections et des FRAC Grand Large – Hauts-de-France, Bretagne, Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Camille Richert est historienne de l’art. Elle est diplômée de l’École normale supérieure de Lyon en histoire contemporaine (2013) et docteure en histoire de l’art contemporain de l’Institut d’Études Politiques de Paris (2021). Ses travaux s’inscrivent dans le champ de l’histoire sociale de l’art. Elle a mené ses recherches doctorales sur les représentations du travail dans l’art contemporain depuis 1968. Chercheuse associée au CHSP et chargée d’enseignement à Sciences Po, elle a auparavant travaillé à Lafayette Anticipations (2014-2018) en tant que responsable des éditions. Elle a également été responsable du Prix Sciences Po pour l’art contemporain (2017-2020).
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