Blythe Bohnen, Self-portraits, 1974-1983, épreuve argentique, © The New York Public Library, © Blythe Bohnen
Blythe Bohnen est une artiste américaine née en 1940 à Evanston, dans l’Illinois. Diplômée du Smith College et de l’université de Boston, elle arrive à New York, en 1972, pour y suivre des cours au Hunter College. Dès lors, elle s’intègre particulièrement bien à la scène artistique new-yorkaise et prend une part active à la création de la galerie coopérative A.I.R.
Elle commence par une pratique de la peinture et du dessin qui va progressivement évoluer vers la photographie à la fin des années 1970. Quoique extrêmement riches, sa carrière et son œuvre ne connaîtront pas la reconnaissance espérée, si bien que le nom de B. Bohnen n’a jamais franchi les cercles fermés de l’art conceptuel américain. Cette artiste, dont l’œuvre demeure confidentielle en France, surprend par son incroyable maîtrise de l’outil photographique et par la façon dont elle le marie aux arts graphiques.
La série Self-Portraits, étudiée en détail dans le cadre de ce travail de recherche, débute en 1974 et se poursuit jusqu’en 1984. Dans ces œuvres, B. Bohnen part en quête d’une nouvelle forme, en mouvement, jouant avec la lumière et l’objectif, qui ne craint plus les déformations inquiétantes. En utilisant des surexpositions, des anamorphoses, en créant volontairement de mauvais cadrages, du flou, B. Bohnen met à mal le sixième art. L’artiste nous montre que, si son engagement féministe est particulièrement discret, il peut néanmoins transparaître dans des tirages qui insistent sur une vision renouvelée et toute personnelle de la figure féminine. Sa définition singulière du féminisme se traduit dans chacune de ses images par son désir effréné d’être reconnue pour ces dernières et non pas pour son sexe. Elle se retrouve dans ce « moi flottant1 » à la surface du papier glacé. La production de B. Bohnen dévoile sa capacité à diversifier les usages du médium photographique, tout en assimilant des techniques et des méthodes propres à son époque.
Outre cet engagement féministe en filigrane, ce mémoire s’est fixé comme objet la part conceptuelle évidente de l’œuvre de B. Bohnen, pour permettre de comprendre comment cette dernière a su s’intégrer dans la scène avant-gardiste et féministe de son temps, comment elle a su passer d’un tracé physique, d’un tracé-matière à un mouvement figé dans l’instant grâce à une réaction chimique, effet de la lumière sur un papier photosensible. Ce changement de méthode interroge : la photographie était-elle une fin en soi, un aboutissement, ou bien simplement un autre moyen de faire évoluer ses créations, de bouleverser les codes de l’art conceptuel à ce moment-là. B. Bohnen déstabilise d’autant plus qu’elle passe d’une approche abstraite et pure du dessin à une réalité plus tangible dans ses autoportraits. Son œuvre, bien que méconnue, mérite d’être regardée car l’artiste y transcende la question des genres artistiques et sexuels, mettant ainsi en avant une sorte « d’hybridisme [et] de métissage des pratiques2 » caractéristiques des années 1970. B. Bohnen détruit les frontières de l’histoire de l’art classique et s’engouffre dans une brèche dont la profondeur fait toute la richesse de ce travail de recherche.
Mémoire de recherche de master 2 en histoire de l’art appliquée aux collections, dirigé par Michel Poivert et Dominique de Font-Réaulx et soutenu par Jeanne Mathas, en septembre 2017, au sein de l’École du Louvre.