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Les expositions artistiques féminines organisées par l’International Federation of Business and Professional Women

07.02.2025 |

Du 24 au 26 août 1930 a lieu la première conférence de l’International Federation of Business and Professional Women (IFBPW)1 à Genève. Elle est lancée par l’initiative de Lena Madesin Phillips, avocate états-unienne militant dans des organisations féminines, qui promeut activement la coopération internationale entre les femmes. Comme l’explique Dorothy Heneker, alors directrice exécutive de l’IFBPW, la Grande Dépression de 1929 a prouvé l’interdépendance des nations et la nécessité pour elles de coopérer et de se comprendre les unes les autres2. La fédération vise à encourager de telles collaborations entre les femmes professionnellement actives, dont les artistes, qui subissent les répercutions de la crise économique mondiale.

Pendant la conférence de 1930, six comités permanents sont créés, avec chacun une spécialité. L’un d’eux est consacré aux beaux-arts et présidé par la sculptrice italienne Antonietta Paoli Pogliani (1886-1956). Ce comité vise à promouvoir la coopération internationale entre les artistes en diffusant des informations sur les opportunités professionnelles et en créant des initiatives communes, comme des expositions internationales. Ce dernier projet s’avère une tentative ambitieuse, qui ne sera pas toujours couronnée de succès, de réunir des artistes femmes à l’ère de l’essor des nationalismes.

La première exposition de l’IFBPW se tient à Amsterdam à l’automne 1933 sous le titre Exposition d’œuvres de femmes artistes. Il est initialement prévu qu’elle ait lieu dans des salles mises à disposition par le Lyceum Club (autre organisation féminine internationale), mais elle est déplacée dans un espace plus prestigieux – le Stedelijk Museum. Tous les pays membres sont invités et des artistes des Pays-Bas, de Pologne, du Royaume-Uni, de Suède, de Norvège, de Belgique, de France, d’Espagne, d’Autriche, d’Italie, des États-Unis et du Canada y présentent finalement leurs œuvres. Après concertation, il est décidé que chaque fédération nationale est responsable de la sélection des œuvres réalisées par ses membres. Par conséquent, l’exposition internationale consiste en la réunion de plusieurs expositions nationales. A. Pogliani est en charge de coordonner toutes les activités : elle préside au comité d’accrochage et prépare le catalogue. Ce dernier inclut la liste de toutes les œuvres et quelques reproductions (les artistes doivent payer si elles veulent voir leurs œuvres reproduites).

Les expositions artistiques féminines organisées par l’International Federation of Business and Professional Women - AWARE Artistes femmes / women artists

Vue de la IIème Exposition d’œuvres de femmes artistes, organisée par l’International Federation of Business and Professional Women, Institute of Art Propaganda, Warsaw, octobre 1934, National Digital Archive, Pologne

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Antonietta Paoli Pogliani à côté de sa sculpture à la IIème Exposition d’œuvres de femmes artistes, organisée par l’International Federation of Business and Professional Women, Institute of Art Propaganda, Warsaw, octobre 1934, National Digital Archive, Pologne

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Cornelia Emilian à la IIème Exposition d’œuvres de femmes artistes, organisée par l’International Federation of Business and Professional Women, Institute of Art Propaganda, Warsaw, octobre 1934, National Digital Archive, Pologne

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Aleksandra Piłsudska (troisième de gauche à droite) visitant la IIème Exposition d’œuvres de femmes artistes, organisée par l’International Federation of Business and Professional Women, Institute of Art Propaganda, Warsaw, octobre 1934, National Digital Archive, Pologne

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Vernissage de la IIème Exposition d’œuvres de femmes artistes, organisée par l’International Federation of Business and Professional Women, Institute of Art Propaganda, Warsaw, octobre 1934, au centre Maria Mościcka, épouse du president de la  the President of the république de Pologne, National Digital Archive, Pologne

Dans son introduction au catalogue, A. Pogliani écrit que le but de l’exposition est de « réunir les femmes actives et de développer la conscience de l’amitié qui peut unir les femmes intellectuelles de différents pays3 ». Cependant, peu d’exposantes participent aux vernissages des expositions de l’IFBPW ; ceux-ci sont en général fréquentés par les dirigeantes de la fédération, par des militantes des pays concernés et par les artistes locales. Le vernissage est une bonne occasion de présenter la fédération, comme en témoignent les comptes rendus dans la presse, qui mentionnent non seulement les artistes mais aussi l’organisation dont elles sont membres. L’exposition d’Amsterdam est bien accueillie et se voit prolongée en raison de l’intérêt suscité. Les critiques notent cependant que les œuvres exposées ne sont pas forcément typiques ni les meilleurs exemples de l’art de chaque pays4. Le projet est considéré par la fédération comme un succès, car il débouche sur la vente de nombreuses œuvres et « accroît l’intérêt pour [son] travail de la part de groupes d’artistes5 », ce qui se mesure au nombre de visites et de critiques publiées6. Il est alors décidé de poursuivre cette activité et d’organiser l’année suivante une deuxième exposition en Pologne.

Les autorités polonaises soutiennent les artistes femmes dans leur efforts internationaux, qu’elles perçoivent comme de bonnes manœuvres de diplomatie culturelle. Les organisatrices de la deuxième exposition de l’IFBPW se voient octroyer les financements dont elles ont besoin ainsi que des espaces à l’Institut de propagande artistique. L’exposition se tient en octobre 1934 et présente des œuvres d’artistes femmes de Tchécoslovaquie, de France, des Pays-Bas, d’Italie, de Pologne, de Hongrie, du Royaume-Uni et de Roumanie7. Les pays non européens décident de ne pas participer à cette édition en raison de ses coûts élevés. L’exposition reçoit un accueil plus critique que la précédente. Nombre d’articles considèrent qu’elle ne peut être considérée comme représentative de l’art créé par les femmes à cette époque, puisqu’elle ne montre que des œuvres de membres de la fédération. L’absence d’artistes françaises établies est particulièrement soulignée. En outre, l’opinion générale quant à la qualité artistique des œuvres exposées est négative. Un critique observe durement qu’en dépit du nom de la fédération, les œuvres d’art exposées paraissent le fruit d’un travail amateur et non professionnel8.

Dans le catalogue de l’exposition de Varsovie, A. Pogliani exprime l’espoir que « le cycle de ces manifestations artistiques, […] continue sa progression à travers d’autres continents dans le but de rapprocher les femmes des pays éloignés en créant de nouveaux foyers de fraternité9  », mais les années suivantes ne donnent pas lieu à l’organisation d’autres expositions. Cependant, le principe de ce type d’initiative commune est revisité en 1936, probablement sous l’influence de l’Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne de 1937 qui est alors organisée à Paris. Cette fois, l’IFBPW décide de coopérer avec la société des Femmes artistes modernes (FAM), active dans cette ville. Les deux organisations préparent conjointement une exposition, intitulée Les femmes artistes d’Europe exposent au Jeu de paume, qui ouvre le 11 février 1937 au musée des Écoles étrangères contemporaines, abrité au Jeu de paume.

Les FAM sont fondées en 1930 par la peintre parisienne Marie-Anne Camax-Zoegger (1881-1952). Elle établit ce groupe pour « montrer, réunies harmonieusement, les plus belles œuvres des artistes les plus caractéristiques de l’école de Paris10 » – c’est-à-dire des artistes femmes de différents pays vivant et travaillant à Paris. L’activité principale de l’association consiste en ses expositions annuelles, organisées entre 1931 et 193811.

L’IFBPW, son Comité des beaux-arts et l’association FAM sont fondés au même moment, avec des objectifs convergents. Dans une large mesure, leur activité est une réaction à la crise économique mondiale qui a conduit, entre autres, à une détérioration significative de la situation des artistes. Plutôt que de lutter pour la reconnaissance des droits des femmes à être actives dans le monde de l’art, comme l’avaient fait de précédentes initiatives féminines, ces organisations cherchent à améliorer la situation d’artistes déjà reconnues comme professionnelles. Ces expositions servent à promouvoir les artistes femmes, ce qui implique donc de faciliter l’achat de leurs œuvres afin qu’elles puissent vivre de leur art. Compte tenu de l’effondrement du marché de l’art, il s’agit surtout d’achats par des institutions publiques. Pour cette raison, les deux organisations cherchent à s’attirer le soutien des gouvernements et des autorités artistiques en les invitant à rejoindre leurs comités honoraires, dont les membres sont mentionnés dans les catalogues, ou à assister à leurs vernissages. Lorsqu’elle décrit la stratégie des FAM, Paula Birnbaum attire notre attention sur les photographies accompagnant les comptes rendus d’expositions. L’une d’entre elles représente par exemple la meneuse du groupe, M.-A. Camax-Zoegger, faisant visiter une exposition à Marguerite Nivoit Lebrun, l’épouse du président français Albert Lebrun. On trouve des photographies similaires pour l’inauguration de l’exposition de l’IFBPW à Varsovie, montrant Maria Mościcka, l’épouse du président polonais. Ces objectifs stratégiques pèsent également sur le type d’art exposé – si ce dernier peut être décrit comme moderne, il ne s’agit certainement pas d’avant-garde.

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Couverture du catalogue Les Femmes Artistes d’Europe exposent au Jeu de Paume (11–28 février 1937), Paris, Musée des écoles étrangères contemporaines, 1937

Dès que l’IFBPW entreprend Les femmes artistes d’Europe exposent au Jeu de paume, l’organisation de cette exposition suit les procédures précédemment mises au point par la fédération, mais de légères modifications sont introduites. Chaque pays participant à l’exposition soumet des œuvres, mais la décision finale est prise par un jury sur place. Ce dernier est constitué des personnes organisant l’exposition (représentant l’IFBPW, la branche française de la fédération, les FAM et le musée) et d’une artiste de chaque pays participant. Dans l’espace d’exposition comme dans le catalogue, les œuvres sont ordonnées en fonction de la nationalité des artistes. Le catalogue liste des artistes de quinze pays : Belgique, Finlande, France, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Suède, Suisse, Tchécoslovaquie et Yougoslavie. En outre, une salle internationale est créée pour présenter les artistes de pays non participants. Cette exposition diffère de celles organisées par les FAM. Ici, toutes les artistes, indépendamment de leur nationalité, exposent ensemble, et leurs noms sont classés par ordre alphabétique dans le catalogue.

La presse parisienne écrit au sujet des Femmes artistes d’Europe que c’est la première fois qu’est présenté « un ensemble féminin de cette importance, un tel choix de femmes artistes déléguées par l’Europe entière12 », ignorant en quelque sorte les initiatives précédentes des deux associations organisatrices. Soulignant le caractère international de l’exposition, la presse affirme que les artistes de certains pays ne présentent pas d’art original et que ce qui est montré est plutôt « l’extension de l’école française en Europe qu’une manifestation des écoles étrangères13 ». Du point de vue des critiques, cela ne diminue par la qualité de l’art exposé, qui est accueilli favorablement, ce qui confirme l’importance croissante de l’art créé par des femmes sur la scène parisienne.

L’IFBPW n’organise pas d’autre exposition durant l’entre-deux-guerres, probablement parce que les tensions politiques croissantes rendent difficile la coopération internationale. Certains articles mentionnent que Les femmes artistes d’Europe est censée connaître une itinérance au Metropolitan Museum of Art de New York14, mais cela ne peut être confirmé. Toutefois, en octobre 1939, le Riverside Museum de New York ouvre une exposition intitulée International Women Painters, Sculptors, Gravers [of] Australia, Czechoslovakia, France, Greece, Hungary, Italy, Netherlands, Norway, Poland, and Switzerland. La participation des Européennes étant coordonnée par A. Pogliani, la sculptrice rassemble les œuvres de nombre d’artistes présentées aux précédentes expositions de l’IFBPW. La manifestation new-yorkaise semble avoir été le dernier épisode du développement intensif de ce type d’initiative – les expositions internationales exclusivement féminines – que l’on observe dans les années 1930. La situation politique s’apprête à être radicalement transformée par la Seconde Guerre mondiale ; après elle, il revient aux artistes femmes de chercher de nouveaux cadres de coopération à l’échelle mondiale.

Traduit de l'anglais par Delphine Wanes.

1
Cette recherche a été partiellement subventionnée par le Centre nationale des sciences de Pologne (projet de recherche « Globalising History of All-Women Exhibitions », financement no 2020/39/B/HS2/00443).

2
Heneker, Dorothy, « Editorial: New Bonds of Interest », Independent Woman, mai 1933, p. 1. Ce journal et le reste de la documentation sur l’IFBPW proviennent des archives de Lena Madesin Phillips (1881-1955) conservées à l’Arthur and Elizabeth Schlesinger Library on the History of Women in America, Radcliffe Institute for Advanced Study.

3
Exposition d’œuvres de femmes artistes organisée par le Comité international des beaux-arts / Tentoonstelling van werken van kunstenaressen, georganiseerd door het Internationaal Comité voor Schoone Kunsten, cat. exp., Stedelijk Museum, Amsterdam (16 septembre – 2 octobre 1933), Amsterdam, International Comité voor de Schoone Kunsten, 1933.

4
Voir par exemple « Een bijzondere tentoonstelling. Werken van kunstenaressen in het Stedelijk Museum », De Gooi- en Eemlander : nieuws- en advertentieblad, 24 septembre 1933, ou « De Vrouw in de beeldende kunst. Tentoonstelling in het Stedelijk Museum te Amsterdam », Algemeen Handelsblad, 16 septembre 1933. Je tiens à remercier Lisa van den Heuvel, mon assistante de recherche, qui a collecté et traduit pour moi ces extraits de critiques.

5
St. Br., « Malarstwo kobiet zarobkujących », Express Poranny, 14 octobre 1934.

6
International Federation of Business and Professional Women, Proceedings of the Board of Directors, Geneva, June 25–28, 1934, Genève, The International Federation of Business and Professional Women, 1934, p. 6.

7
L’exposition est ouverte du 1er au 31 octobre 1934.

8
St. Br., « Malarstwo kobiet zarobkujących », Express Poranny, 14 octobre 1934. Coupure de presse issue des collections de l’Institute of Art Propaganda Archives, 70, exposition 32, The Institute of Art, The Polish Academy of Science, Varsovie.

9
IIe Exposition d’œuvres de femmes artistes organisée par le Comité international des beaux-arts / II Międzynarodowa Wystawa Plastyczek zorganizowana przez Międzynarodowy Komitet sztuk Pieknych, cat. exp., Varsovie, Instytut Propagandy Sztuki, 1934.

10
« Les femmes artistes modernes », Art et Artisanat, 15 juin 1935.

11
Sur les FAM, voir Birnbaum, Paula J., Women Artists in Interwar France: Framing Femininities, Surrey, Routledge, 2016, 358 p.

12
L’Imagier, « Les femmes artistes d’Europe au musée du Jeu de paume », L’Œuvre, 14 février 1937, p. 2, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4620475w/f2.

13
L’Imagier, « Les femmes… », op. cit. Voir aussi René Barotte, « Les femmes artistes d’Europe exposent leurs œuvres au Jeu de paume », Paris Soir, 12 février 1937, p. 7, ou Ed. S.,

14
L’Imagier, « Les femmes… », op. cit.

An article produced as part of the TEAM international academic network: Teaching, E-learning, Agency and Mentoring.

Pour citer cet article :
Agata Jakubowska, « Les expositions artistiques féminines organisées par l’International Federation of Business and Professional Women » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 7 février 2025, consulté le 21 février 2025. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/les-expositions-artistiques-feminines-organisees-par-linternational-federation-of-business-and-professional-women/.

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