Critique

Liz Magor, troubler l’habitude

06.04.2018 |

Liz Magor, Carton II, 2006, gypse polymérisé, cigarettes, gomme à mâcher, allumettes, briquets, 29,2 x 53,3 x 48,2 cm, Courtesy Marcelle Alix, Susan Hobbs et Catriona Jeffries © Liz Magor

Si Liz Magor est une sculptrice majeure de la scène nord-américaine, sa renommée reste à faire en France. Après une première exposition personnelle organisée par Claire Le Restif au Crédac, centre d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine, en 2016, c’est au tour d’Hélène Guenin de consacrer à L. Magor une rétrospective, au musée d’Art moderne et d’Art contemporain (MAMAC) de Nice, composée d’une sélection d’œuvres créées depuis 1989.

L’artiste prouve, au sein des quatre espaces qui scandent la visite, sa maîtrise du volume et de la combinaison de différentes échelles, de l’objet que l’on tient dans sa main aux pièces que l’on habite. Son travail, qui explore le vernaculaire et le quotidien, a des allures de pauvreté, parfois de ready-made, qui cachent une grande complexité technique où le moulage en gypse polymérisé occupe une place de choix.

Liz Magor, troubler l’habitude - AWARE Artistes femmes / women artists

Liz Magor, Sweet Airs, 2016, gypse polymérisé, feuille plastique, tissu, papier, Courtesy Marcelle Alix, Susan Hobbs et Catriona Jeffries, © Liz Magor

Liz Magor, troubler l’habitude - AWARE Artistes femmes / women artists

Liz Magor, Banff Chair, 1991, base en acier, mousse de polyuréthane mou, fourrure synthétique, gants en daim, 77 x 88 x 111 cm, Courtesy Marcelle Alix, Susan Hobbs et Catriona Jeffries, © Liz Magor

L’entrée dans l’exposition se fait avec One Bedroom Apartment (1996-2017), où le contenu d’un appartement semble tout juste sorti d’un camion de déménagement ou d’un garde-meubles. La présence d’éléments disruptifs, porteurs d’étrangeté, complique cette disposition faussement hasardeuse ; version après version, la seule constante de l’installation demeure le moulage d’un chien couché sous la table.

Plus loin apparaissent des piles de vêtements et de serviettes qui, lorsqu’on les contourne, se révèlent être des moulages creux et hyperréalistes servant d’enveloppes à des packs de bières et à des cigarettes. À partir d’objets aux contours familiers, L. Magor instaure un jeu entre apparences et matières, un leurre bienveillant qui se résout par la déambulation. Cette étrangeté des faux-semblants, ce va-et-vient entre objets réels et fictions sculptées est justement ce qui rend l’œuvre de L. Magor curieuse et jubilatoire, notamment pour la commissaire et la scénographe qui associent de nombreuses possibilités théâtrales et distribuent frustrations et permissions. Quant au public, il s’agit pour lui de reconnaître sa défaite et d’accepter de composer avec la présence et l’absence de pièces qui se dérobent au regard, à la façon d’All the Names II (2014) : un bloc de silicone, dont l’opacité rend difficile tout discernement précis, servant de réceptacle à une accumulation de reliques de la vie quotidienne qui s’y trouvent comme fossilisées. Cette série, aussi belle que silencieuse, constitue un écho fantomatique aux Poubelles d’Arman qu’on croise à l’étage supérieur du musée.

Liz Magor, troubler l’habitude - AWARE Artistes femmes / women artists

Liz Magor, Stack of Trays, 2008, gypse polymérisé, gomme à mâcher, objets trouvés, 25 x 45 x 47 cm, Courtesy Marcelle Alix, Susan Hobbs et Catriona Jeffries, © Photo : Scott Massey, © Liz Magor

La production industrielle d’objets, la multitude de leurs emballages et contenants, le désir compulsif de consommation qu’ils font quelquefois naître en nous sont autant de thèmes auxquels les sculptures hétéroclites de L. Magor font appel. Elles n’excluent néanmoins pas l’idée de l’attachement sentimental à des objets existants, parfois surannés, comme ces couvertures aux couleurs fanées, qui suggèrent le confort et la protection, et que l’artiste rapièce, combine et orne. Nombreux sont d’ailleurs chez L. Magor les personnages au repos, que ce soient les chiots, les petites créatures emmaillotées appelées Sleepers (1999), ou même les présences énigmatiques qui gonflent les Sleeping Bags (1998-1999). Le kitsch, manié par touches, intervient également dans une réflexion sur le folklore lié à l’identité canadienne, avec des œuvres subtilement ironiques, comme Banff Chair (1991), qui flirte avec le fantasme et le fétiche. Les sculptures de L. Magor, dans leur douceur et leur mélancolie, témoignent de différentes formes de dépendance, de la gourmandise à l’addiction, avec tout ce que cela comporte d’impulsion, d’attirance et de rejet. Le MAMAC propose une exposition somptueuse, surprenante dans sa sobriété et exigeante dans son rejet du spectaculaire, qui invite le public à transmettre et à réitérer l’attention portée par l’artiste à ses œuvres.

 

Liz Magor, du 18 novembre 2017 au 13 mai 2018, au musée d’Art moderne et d’Art contemporain (MAMAC) (Nice, France).

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Pour citer cet article :
Mathilde Belouali-Dejean, « Liz Magor, troubler l’habitude » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 6 avril 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/liz-magor-troubler-lhabitude/.

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