Critique

Sheila Hicks au Centre Pompidou : de l’œuvre comme partage

27.03.2018 |

Sheila Hicks, Palitos con Bolas, 2008-2015, Centre Pompidou, Paris, don d’Itaka Martignoni et Cristobal Zañartu en 2017, © Centre Pompidou, 2017 © ADAGP, Paris

Pour la première fois à Paris, le musée national d’Art moderne – Centre Georges-Pompidou consacre une rétrospective à Sheila Hicks (née en 1934), à la suite d’une importante donation d’Itaka Martignoni et de Cristobal Zañartu.

Sheila Hicks au Centre Pompidou : de l’œuvre comme partage - AWARE Artistes femmes / women artists

Sheila Hicks, Lianes de Beauvais, 2011-2012, Centre Pompidou, Paris, © ADAGP, Paris

La façon dont les œuvres de cette artiste interagissent avec l’espace qui les accueille en est l’un des aspects forts, aussi le choix d’un lieu revêt-il une importance particulièrement saillante, tant vis-à-vis de la tonalité de chaque réalisation qu’en regard de la qualité de l’exposition dans son ensemble. Or, si la production textile de S. Hicks apparaît accueillante et chaleureuse du fait de son luxe de textures et de couleurs, la préférence accordée à la galerie du musée dont les larges baies vitrées ouvrent directement sur la ville participe en premier lieu à créer cette impression de douceur, en même temps qu’elle signale comment l’artiste conçoit l’exercice codifié de la rétrospective.

Le parcours de l’exposition élaboré par le commissaire, Michel Gauthier, avec le concours de S. Hicks, mime ainsi le caractère joueur de l’œuvre, dans un environnement décloisonné qui ne veut pas rendre la chronologie de façon stricte et linéaire. Passé le seuil, où la confrontation avec les multiples éléments presque cinétiques de Bâoli Chords/Cordes sauvages pow wow (2014-2015) est imposée, libre au regard d’actualiser l’accrochage entre certaines pièces jouant du pli, de la superposition et de leur attachement au sol (Córdoba, 1968-2011 ; Pêcher dans la rivière, 1989-2013) et certaines autres, verticales, qui tirent parfois plus volontiers partie des spécificités du lieu (Lianes de Beauvais, 2011-2012 ; La Sentinelle de safran, 2018).

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Sheila Hicks, House of Spirits, 2007, Centre Pompidou, Paris, don d’Itaka Martignoni et Cristobal Zañartu en 2017, © Centre Pompidou, 2017 © ADAGP, Paris

À partir de ce même souci maximal de l’espace, on comprend que les murs d’enceinte accueillent les travaux les plus directement picturaux de l’artiste, en raison de leur tension avec une planéité relative. La série dite des Minimes – tissages de petite dimension mobilisant des matériaux divers –, réalisée sans interruption par l’artiste dès la seconde moitié des années 1950, est ainsi présentée au travers d’une centaine de pièces dont l’accrochage par association cherche à rendre la logique expérimentale et générative. La respiration spécifique à la création de S. Hicks trouve dans le va-et-vient entre ce corpus et les œuvres de taille plus importante son plus vibrant exemple. Légèrement décentré, un aménagement rassemblant une sélection de films ainsi que des documents et objets de travail de l’artiste prend en charge à lui seul l’aspect contextuel. La pratique de S. Hicks est ici réinscrite dans son itinéraire de formation, entre le brouillage de la hiérarchie opposant art et design hérité du Bauhaus, expérimenté auprès d’Anni et Josef Albers à Yale University, ses voyages au Mexique et son observation attentive des textiles précolombiens.

À la suite d’Apprentissages1, la dernière intervention forte de l’artiste à Paris, et par contraste avec cet événement qui tenait tout entier de l’installation, pour l’exposition du Centre Pompidou la difficulté réside dans cet interstice où le ludisme constitutif de l’œuvre transige avec les exigences propres à la rétrospective institutionnelle. L’organisation de Lignes de vie marque une étape significative dans la reconnaissance de la production de S. Hicks en France, qui relève à présent de la durée longue. Cependant, si l’artiste, installée à Paris depuis 1964, voit son travail accéder progressivement au canon de l’histoire de l’art de la seconde moitié du XXe siècle, sa réception demeure empreinte d’un décalage de temporalité symptomatique tant du sort fait à nombre de femmes que du statut subalterne dans lequel sont maintenus les matériaux supposés appartenir aux arts dits « décoratifs ».

 

Sheila Hicks. Lignes de vie, du 7 février au 30 avril 2018, au musée national d’Art moderne – Centre Georges-Pompidou (Paris, France).

1
Apprentissages, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, commissariat de Clément Dirié, musée Carnavalet – Histoire de Paris, Paris, 13 septembre-2 octobre 2016 ; « vitrines parisiennes » (Maison Bonnet, Librairie Petite Égypte, Régie immobilière de la Ville de Paris, CSE/Dr Philippe Benillouche, galerie Kreo), Paris, 15 octobre-3 décembre 2016 ; Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, Nanterre, 9-17 décembre 2016.

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Pour citer cet article :
Valentin Gleyze, « Sheila Hicks au Centre Pompidou : de l’œuvre comme partage » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 27 mars 2018, consulté le 26 avril 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/sheila-hicks-centre-pompidou-de-loeuvre-partage/.

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