La présente publication fait suite à une journée d’étude qui s’est déroulée le 14 mai 2018 aux Beaux-Arts de Paris. Intitulée « La performance : un espace de visibilité pour les femmes artistes ? », cette journée s’inscrivait dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire « Visibilité et invisibilité des savoirs des femmes : les créations, les savoirs et leur circulation, XVIe-XXIe siècles ». Porté par Caroline Trotot au sein du laboratoire Littératures, Savoirs et Arts (LISAA) de l’université Paris-Est — Marne-la-Vallée en 2017-2018, ce programme a bénéficié, pour cette journée d’étude et pour cette publication, du soutien et de la collaboration active de l’association AWARE : Archives of Women Artists, Research and Exhibitions. Un des objectifs était d’étudier comment l’œuvre créatrice ou encore l’usage du corps pouvaient donner lieu à des stratégies de détournement permettant d’interroger les mécanismes de visibilité et d’invisibilité qui régissent les savoirs des femmes. La performance s’est en conséquence imposée comme un terrain imbriquant conjointement ces aspects du corps et de l’œuvre, d’autant qu’elle a, dans son histoire, été en grande partie investie par les femmes.
Chez plusieurs artistes, la représentation de soi qui se produit à travers la performance est corporalisée (embodied). D’une illusoire domestication du corps à un féminin par trop stéréotypé répondant à des normes imposées, c’est l’affirmation de vies réelles qui est recherchée et dont l’échec est assuré si le but est de se diriger vers une vérité identitaire. Il est fréquent qu’une transgression des limites normatives soit mise en œuvre dans certaines démarches féministes. Or, parmi plusieurs performeuses qui ont montré des résistances aux représentations prescrites des corps et des femmes, il en est dont les manifestations donnent à voir de l’ambivalence et une violence ostensible. Partant du travail de Nadège Grebmeier Forget (québécoise) et de celui de Rebecca Belmore (anichinabée), cet essai mettra en avant des images du corps et des identités dont les représentations contestent les normes. Dans les deux cas, elles participent d’une résistance et d’une agentivité féministes qui s’avèrent critiques de la construction de soi, des savoir-faire et des savoirs : entre un corps-sujet qui performe une quête de soi et un autre qui exprime à quel point la violence est flagrante dans la représentation des femmes se logent des enjeux féministes d’une actualité encore vive.
Thérèse St-Gelais est professeure titulaire d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal. En 2012, elle a été commissaire de Ghada Amer (musée d’Art contemporain, Montréal). Elle a contribué à de nombreux catalogues, parmi lesquels celui qui a été consacré à Teresa Margolles (Montréal, musée d’Art contemporain, 2017). Elle a également collaboré à plusieurs ouvrages collectifs, dont Desire Change: Contemporary Feminist Art in Canada (Montréal, Kingston, Londres, Chicago, McGill- Queen’s University Press, 2017). Elle est membre de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) et du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), à Montréal.