Prix AWARE

Marianne Mispelaëre
Nommée au Prix 2018

© Photo : Marcus Heim

Le travail de Marianne Mispelaëre œuvre sur un territoire sensible en déployant des gestes éphémères ou des échanges oraux qui s’incarnent dans le simple tracé de lignes, l’éloquence silencieuse des signes que nous produisons et la disparition de formes conventionnelles de langage. Son univers ne fait pas sécession avec le monde. Il en explore une voie marginale : celle qui consiste à s’éloigner du flux continu de mots vidés de leur contexte, désincarnés des histoires singulières pour revenir à des formes de langage essentielles et pourtant fragiles.

Marianne Mispelaëre - AWARE Artistes femmes / women artists

Marianne Mispelaëre, mesurer les actes, 2015, dessin in situ, action performative de dessin, encre de chine sur mur, pinceau petit gris, dimensions variables, Courtesy Marianne Mispelaëre, © Photo : Nicolas Lelièvre, © ADAGP, Paris

Marianne Mispelaëre observe l’agitation du monde, ses moments de soulèvement, comme dans la série Silent Slogan (2016-en cours), collecte de gestes entamée sur Internet et témoignant de rassemblements spontanés advenus depuis 2010, du Printemps arabe à Nuit debout. Véritable encyclopédie visuelle, la série de cartes postales rassemble des tentatives anonymes de communiquer l’ici et maintenant de l’action au monde entier à travers des mouvements de mains banals et impulsifs. Il reste aujourd’hui, de ces espoirs déçus, la polyphonie de messages silencieux qui ont préféré alors, aux commentaires chaotiques des médias, l’immédiateté d’une expression à vocation universelle et directe. « Le “Printemps Arabe” me raconte avec ferveur le deuil impossible d’une certaine conception de l’humanité libre1 » précise Marianne Mispelaëre. « Expliquer le réel n’a pas forcément de réalité. L’écriture de l’Histoire doit porter des traces qui ne se donnent pas l’immédiateté des méthodes ni l’accréditation des sources2. » Silent Slogan dit aussi l’impossibilité de cette Babel visuelle, car les gestes, sortis de leur contexte, de leur culture, prennent une multiplicité d’interprétations. Reste la fulgurance d’une histoire en train de s’écrire.

Marianne Mispelaëre - AWARE Artistes femmes / women artists

Marianne Mispelaëre, newspaper, 2013, photographie, série de 5 affiches, impression numérique sur papier dos bleu, 120 x 176 cm, Courtesy Marianne Mispelaëre, © Photo : Marianne Mispelaëre, © ADAGP, Paris

Silence aussi de ces mains qui refusent de communiquer, de livrer leur identité, avec No Man’s Land (2014-en cours), performance consistant à strier systématiquement de stylo-bille la paume de la main et l’extrémité des doigts avant de reporter ces traces sur une feuille de papier. La main, véritable carte visuelle de l’existence avec sa paume, trace intime de notre singularité avec ses empreintes digitales, est ici recouverte comme pour nier l’identité. Cette action est inspirée d’une image glanée dans le documentaire Qu’ils reposent en révolte (2010) de Sylvain George, consacré à Calais, à ces hommes qui scarifient leurs mains dans un ultime geste d’effacement des racines et de leur histoire.

Si l’espérance de vie peut se lire au creux de la main, l’existence ici devient confuse, dans cette cacophonie de lignes entremêlées, comme autant de destins.

Parfois la ligne devient sillon, le corps un étalon à l’aune duquel se jauge l’espace, comme dans Mesurer les actes (2011-en cours). Élaboré au cours de performances, ce dessin mural montre des lignes parallèles et verticales qui se frôlent et varient en densité dans une gamme de gris et de noirs, sans arrêt ni reprise depuis le point le plus haut que l’artiste puisse atteindre. Le dessin se poursuit jusqu’à épuisement de l’encre, de l’espace ou jusqu’au sien propre. La ligne – à la fois trajectoire et processus – devient un véritable sismographe du corps.

Dans ce va-et-vient permanent entre relecture anthropomorphique du dessin et anthropologie des gestes, entre intime et collectif, Marianne Mispelaëre poursuit sa quête d’une forme de primitivisme ou de quintessence des mouvements. Si son travail exprime la difficulté d’énoncer ou d’être entendu·e dans le bruit assourdissant du monde, il affirme, au fil des projets, la persistance d’élans vitaux, de formes de résistance, de signes essentiels.

 

Diplômée en 2012 de la Haute École des arts du Rhin (HEAR), à Strasbourg, Marianne Mispelaëre (1988, France) est lauréate du grand prix du Salon de Montrouge 2017 et bénéficiera d’une exposition personnelle au palais de Tokyo en février 2018. Son travail est montré en France et à l’étranger, notamment à la galerie mfc-michèle didier, au Centre des livres d’artistes (CDLA, Saint-Yrieix-la-Perche), au 49 Nord 6 Est – FRAC Lorraine (Metz) et au Centre Pompidou-Metz. Elle a été sélectionnée pour le Kunstpreis Robert Schuman (Trèves, Allemagne) en 2015 et pour l’Edward Steichen Award (Luxembourg) en 2017 ; en 2016, elle a été lauréate du prix de la Ville de Grenoble, organisé par Le Magasin – CNAC.

1
Portfolio de l’artiste, en ligne, URL : www.mariannemispelaere.com.

2
Ibidem.

Rapporteuse : Hélène Guenin, directrice du MAMAC à Nice

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