Magali Lesauvage, « Aline Bouvy, fête sans tain », Le Quotidien de l’art, no 2804, 2024
→« Poétiques et politiques des corps et des espaces, entretien avec Pascale Viscardy », Flux News no 93, 2024
→Denis Gielen, Milena Oldfield, Cruising Bye, cat. exp., Musée des arts contemporains du Grand-Hornu, 27 février 2022 – 18 septembre 2022, Cologne/Boussu, Buchhandlung Walther König / Musée des arts contemporains du Grand-Hornu, 2022
Servant, clown or enemy, Someday Gallery, avril-mai 2024
→Le Prix du Ticket, Triangle-Astérides, Marseille, février-septembre 2024
→As Sirens Rise and Fall, Kunsthal Gent, Gent, janvier-mars 2021
Artiste pluridisciplinaire luxembourgeoise.
Aline Bouvy dit ne pas vraiment avoir de médium de prédilection. Cependant à propos de son travail, elle-même et d’autres disent : l’exposition devient médium, le corps devient médium. Et cette question est sans doute un sujet depuis son enfance.
Enfant, A. Bouvy n’a pas vécu entourée de livres, mais elle avait deux grand-mères, toutes deux femmes d’ouvrage. L’une l’emmène avec elle, quand elle fait des ménages, dans d’immenses demeures, comme des décors, où tout est blanc, chrome et verre fumé, avec des cendriers partout, et des œuvres d’art. L’autre lui fait bricoler des déguisements, et mettre en scène son propre corps, avec de la gouache sur de vieux bouts de tissus. Tout est presque déjà là. Mais c’est dans une bibliothèque, via un autre amour, un petit copain, qu’elle découvre enfin l’art contemporain, le « vrai », et les sculptures de Bruce Nauman. C’est ça. C’est ce que je veux faire, elle se dit.
De 1995 à 1999, A. Bouvy étudie à l’erg à Bruxelles, et de 1999 à 2001, à la Jan van Eyck Academie de Maastricht. Elle s’installe à Berlin puis à Londres, avant de revenir à Bruxelles. Entre 2000 et 2013, elle travaille en duo avec John Gillis (né en 1974) et cofonde le collectif féministe The After Lucy Experiment.
Toutes ces premières fois stimulent A. Bouvy vers un travail plastique complexe, critique et ironique qui fait de son art un outil très personnel de questionnement à la fois des corps, des espaces et des normes, toujours sur le fil, comme elle dit. Si ça penche d’un côté ou de l’autre, ce sera peut-être en fonction de ce que le public y projette.
Pour chacun de ses projets, A. Bouvy déroule une narration, dont elle lie et relit sources et archives avec un regard féministe et sans hiérarchie. Liens et relectures, plaisir de détourner les conventions, sont une partie importante du travail préparatoire. Les œuvres elles-mêmes sont parfois le fruit d’une collaboration avec d’autres corps de métiers. Les éléments créés pour un contexte peuvent être réarticulés dans une nouvelle narration.
En 2022, elle présente son exposition Cruising Bye au Musée des arts contemporains du Grand-Hornu, où les murs ont des piercings et où des policiers nus flirtent en bas-relief, cernés de chiens errants aussi excités qu’eux. Elle remporte le prix de l’Association internationale des critiques d’art (AICA) pour l’exposition la plus remarquable.
En 2024, à Marseille, pour l’exposition Le prix du ticket à Triangle-Astérides, elle remplit l’espace de l’angoisse d’une neutralité blanche, presque trop blanche, qui suggère aussi ce qu’il en coûte. À New York, à la Someday Gallery, avec Servant, clown or enemy, elle expose, dans ce cirque qu’est le monde de l’art, une reproduction de son corps blanc, qui malgré sa nudité, sa vulnérabilité, son échelle réduite – celle d’un enfant ou d’un chien –, semble prête à mordre.
A. Bouvy dit ne pas vraiment avoir de médium de prédilection, mais peut-être en aime-t-elle toutes les nuances. Médium, c’est bien sûr la matière et les outils choisis par l’artiste, mais c’est aussi le centre, le neutre et sa fiction, le blanc dans la conversation. C’est une substance, entre le liant et le diluant. Une voix entre le grave et l’aigu. C’est une personne, à la fois centrale et intermédiaire, qui communique avec ce qui n’est presque plus de ce monde. Enfin le médium, c’est notre doigt du milieu, celui de l’honneur, de l’exaspération, celui qu’on lève quand on est en colère, ou pour rire. Est-ce qu’ici l’artiste nous fait un doigt, celui du milieu ? Noooon. Ha si !
Une notice réalisée dans le cadre du programme +1.
© Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, 2024