Berthon Jacques, The astrological sculptures of Eva Aeppli, Omaha, Old Market Press, 1983
→Eva Aeppli, cat. expo., Moderna Museet, Stockholm (24 avril – 13 juin 1993), Stockholm, Moderna Museet, 1993
Eva Aeppli, Bundeskunsthalle, Bonn, 16 septembre 1994 – 15 janvier 1995
→Eva Aeppli, Museum Tinguely, Bâle, 25 janvier – 2 mai 2006
→Eva Aeppli, Museum Tinguely, Bâle, 6 juin – 1er novembre 2015
Peintre et sculptrice suisse.
Eva Aeppli pratique la peinture, la gravure et la sculpture à la Kunstgewerbeschule de Bâle. Elle découvre, à l’âge de 16 ans, l’existence des camps de la mort en lisant Die Moorsoldaten [Les soldats dans la boue, 1935] de Wolfgang Langhoff. Cette lecture marquera durablement son œuvre. Elle se marie en 1951 avec Jean Tinguely. Son indépendance à l’égard de son époux – « J’avais peur que son art m’étouffe. C’est pourquoi je ne voulais voir aucune de ses œuvres ; je ne voulais pas non plus me laisser influencer par lui » – n’a d’équivalent que celle qu’elle montre ensuite vis-à-vis de l’art en général, ses modes, ses courants, ses modes de reconnaissance. E. Aeppli défend le caractère autodidacte et totalement individuel de son art, s’exprime peu, et sera de fait reconnue tardivement et sporadiquement par les institutions de son époque. Elle exercera toutefois une énorme influence sur le travail de Niki de Saint Phalle, la seconde femme de J. Tinguely, qui, en 1963, la nommera provisoirement gestionnaire physique et spirituelle de son œuvre, en cas de décès du sculpteur. En 1952, E. Aeppli s’installe à Paris avec son mari et fabrique des marionnettes qu’elle vend dans les magasins de jouets pour payer leur loyer. Ils vivent misérablement ; aidés par Daniel Spoerri, ils aménagent dans un modeste atelier de la fameuse impasse Ronsin.
Entre 1953 et 1957, c’est elle qui subvient aux besoins du ménage : J. Tinguely lui reconnaîtra toujours ce rôle de guide et de soutien, l’ayant auparavant encouragé à devenir artiste, puis à passer du fusain à la peinture à l’huile. En 1960, ils se séparent, et elle se consacre à la peinture dans de larges toiles, où crânes et personnages entassés, squelettiques, définissent des compositions à la limite de l’abstraction, danses macabres contemporaines, où la représentation de la mort et le pessimisme dominent. Progressivement, elle se tourne vers une œuvre sculpturale, l’une des premières signées par une femme dans les années 1960-1970 (avec Germaine Richier et Barbara Hepworth). Des personnages confectionnés pour la plupart en tissus cousus, muets et solitaires, comme saisis de douleur et de frayeur, sont traités avec une grande économie de moyens : ils sont monochromes, au genre indéfini ; ils ont le même visage blafard, le même corps squelettique ou les bras ballants le long du corps, les jambes rachitiques. L’artiste les appelle elle-même des « macchabées ». Certains groupes de ces mannequins textiles sont aujourd’hui considérés comme ses chefs-d’œuvre : La Table (1967) ; Groupe de 13 (hommage à Amnesty International) (1968). Il s’agit toujours d’évoquer frontalement le sort des grandes victimes du siècle, les déportés et les victimes de tortures : le regard est noir et sans aucune échappatoire, ainsi qu’elle le fait remarquer à un critique qui avait, selon elle, mal interprété La Table : « Vous avez tort de supposer que j’ai mis la mort au centre de la table pour envoyer un message de désespoir contraire au message d’espoir de Jésus. Au contraire, mon travail était un commentaire du fait que les gens se sentent abandonnés, qu’ils sont consommés par la peur de mourir, qu’ils refusent le don de la vie éternelle venant du centre et que Jésus devrait représenter. J’espère qu’à travers leurs expressions on voit l’isolement de ces figures à la table, emprisonnées dans leur monde négatif » (Eva a Myth ?, 2000).
À partir du milieu des années 1970, les mannequins en tissu sont remplacés par des bronzes, des figures individuelles et des cycles de têtes monumentales en velours, coton et cuir rembourrées de kapok dont la plupart sont consacrées au thème de l’astrologie : Les Planètes (1974-1976) précèdent Le Zodiaque (1979-1980). En 1991, le couple crée en collaboration une série d’œuvres exposées en 2002 au musée de l’Hôtel-Dieu de Mantes-la-Jolie. Ce travail en commun ainsi que les relations d’E. Aeppli avec les artistes majeurs de son temps sont « montrés » dans ses Livres de vie, une autobiographie sans mot, qu’elle tient pendant cinquante ans (1954-2002) ; elle y collectionne lettres, manuscrits, dessins, graphiques, photographies envoyées par ses amis, et reproductions de ses œuvres. Vie et création artistique s’entrelacent pour former une entité indivisible, d’autant plus unique et utile qu’E. Aeppli s’est toujours refusée à commenter ses propres créations. Ce journal de bord en images est aussi un tableau de l’Europe d’après-guerre. La rétrospective qui lui est consacrée à Bonn en 1994 est suivie par celle du Garden of the Zodiac à Omaha (Nebraska) en 2000, puis celle du musée Tinguely à Bâle en 2006.