Entretien papier prix AWARE
→Bonbot Michel & Chavanne Blandine (dir.), Judit Reigl, cat. expo., musée des Beaux-Arts de Nantes (9 octobre 2010 – 2 janvier 2011), Paris, Subjectile Art, 2010
→Pleynet Marcelin, Judit Reigl, Paris, A. Biro, 2001
→Pleynet Marcelin (dir.), Judit Reigl : peintures choisis [sic], 1956-1978, cat. expo., musée de Peinture, Grenoble (septembre-novembre 1978), Grenoble, Musée de Peinture, 1978
Judit Reigl, Autour de la donation Goreli, musée national d’art moderne – Centre Georges Pompidou, Paris, 1994
→Judit Reigl, MODEM Centre for Modern and Contemporary Arts, Debrecen, 2010
→Judit Reigl, musée des beaux-arts de Nantes, 9 octobre 2010 – 2 janvier 2011
Peintre hongroise.
Tour à tour surréaliste, gestuelle, figurative, Judit Reigl a souvent déconcerté les critiques par les évolutions de son œuvre et ses tournants aussi brusques qu’imprévus. Son parcours témoigne pourtant d’une angoisse existentielle immuable : la hantise de l’apparition et de la disparition, de l’émergence et de la submersion. En juin 1950, elle s’installe en France, après avoir essayé à huit reprises de franchir clandestinement le rideau de fer afin d’échapper au régime dictatorial de son pays. Elle rejoint à Paris son compatriote et compagnon d’études à l’École des beaux-arts de Budapest, Simon Hantaï, qui l’introduit auprès d’André Breton en 1954 ; elle offre à ce dernier l’une de ses premières toiles surréalistes, Ils ont soif insatiable de l’infini (1950) : une vision de cauchemar inspirée par Lautréamont et Goya, où de monstrueuses créatures zoomorphes, saisies d’une inexplicable terreur, fuient dans un paysage désertique. Quelques mois plus tard, invitée par A. Breton à exposer à la galerie À l’étoile scellée, elle présente, en 1954, ses premières œuvres non figuratives, composées de sinusoïdes tourmentées aux allures organiques, et réalisées, selon ses propres mots, dans un « automatisme total, à la fois psychique et physique ». Après avoir quitté le groupe surréaliste, elle réalise, au cours des années suivantes, une série de tableaux marqués par une gestualité intense, où la peinture projetée à pleine volée sur la toile provoque des déflagrations violemment colorées, tantôt centrifuges (Éclatements, 1955-1958), tantôt centripètes (Centres de dominance, 1958-1959). Cette abstraction gestuelle la rapproche de Georges Mathieu, avec qui elle expose en 1956 et 1957. Entre 1959 et 1965, ses Écritures en masse, faites de puissantes formes noires en lévitation sur fond écru, lui permettent d’aborder des dimensions monumentales, d’une austère grandeur.
Parallèlement, les toiles ratées de ces séries ne sont pas abandonnées : foulées du pied, recouvertes des déjections picturales qui jonchent le sol de l’atelier, elles sont reprises, retravaillées et deviennent l’équivalent tellurique de l’ambition cosmique des œuvres gestuelles (Guano, 1958-1965). En effet, plutôt que l’élégance formelle, c’est l’authenticité du geste que J. Reigl recherche, une authenticité qui la fait aboutir, au milieu des années 1960, à une figuration imprévue, constituée de torses anthropomorphes – le plus souvent masculins – tracés en force et placés en position d’envol ou de chute, occupant, au bord du vertige, tout l’espace disponible sur ses toiles (Homme, 1966-1972). L’artiste expérimente ensuite l’allègement de ses figures, en prenant l’empreinte de leur corps en ascension, travaillant sur le recto de tissus translucides afin de n’en saisir que les traits essentiels présentés ensuite au verso (Drap-Décodage, 1973), car « la percée initiale est devenue mur », déclare-t-elle. Ce travail culmine dans la série abstraite des Déroulements (1973-1985), où elle approfondit une « écriture peinture » fluide, faite de tracés colorés émergeant par transparence du fond de la toile peinte sur son envers. Cette recherche d’une inscription du geste de peindre, non plus en lutte avec la matière picturale mais jouant sur sa ductilité, suscite, à partir de 1975, l’intérêt du critique Marcelin Pleynet, dont les textes accompagneront désormais la peintre tout au long de son parcours. Dans ses ultimes séries abstraites des années 1980-1988 réalisées sur le même principe, des rectangles monumentaux apparaissent bientôt, évoquant des « portes » livrant passage à de fines silhouettes humaines, s’avançant tels des Lazare hors de leur tombeau (Face à…, 1988-1990). Ce retour de la figure, retour à plusieurs reprises refoulé et accepté, témoigne d’une obsession constante chez l’artiste : celle de faire du corps – agissant ou représenté – le sujet même de la peinture. Cette quête ontologique porte son œuvre, qui n’hésite pas à affirmer sa préoccupation existentielle, au-delà des modes. Dans ses travaux plus récents, ces corps nus se multiplient sur les toiles ; ils apparaissent seuls ou en groupes, de face ou en lévitation, mais toujours en silhouette sur fond uni, réduits à l’essentiel de leur être. Comme elle le dit dans un récent entretien pour le catalogue de son exposition à Nantes (2009) : « Je suis à la fois l’image dans le miroir, le miroir et le spectateur qui voit le miroir. […] Je suis tout ensemble. »