Myriam Mihindou, images et mystères, chapelle de la Visitation, Semaine 42.12, Arles, Analogues
Transmissions, musée national Picasso, Vallauris, 3 février – 14 mai 2018
→Aucun de ses os ne sera brisé, chapelle Saint-Séverin, Paris, 2018
Plasticienne franco-gabonaise.
L’œuvre de Myriam Mihindou ne connaît aucune frontière, au sens propre comme au figuré. Du saut en hauteur à l’architecture, en passant par l’école des beaux-arts de Bordeaux, sa formation déploie plusieurs espaces d’expression. Elle évacue la question de l’appartenance à une culture spécifique ou à un médium artistique en jouant des porosités et de la « Relation » telle qu’Édouard Glissant l’a définie. La performance, comprise comme une pratique où le corps est à la fois l’outil et l’écran d’une pensée, peut être envisagée comme le fil conducteur d’une création artistique cathartique. Avant cela, le voyage et la rencontre nourrissent son travail. De l’Égypte à la France métropolitaine, en passant par le Maroc, la Réunion, le Gabon, l’Ouganda ou les États-Unis, M. Mihindou est une véritable exote, qui, par le déplacement et l’expérimentation de lieux et de contextes spécifiques, mène une recherche physique et mémorielle. Sur place, elle investit et arpente les langues, les énergies, les histoires, les paysages, les corps, les matériaux qu’elle va ensuite injecter dans ses performances et sculptures. Les performances, pensées comme des rituels, sont des moments de mise à l’épreuve de son corps pour transcender un trauma, une violence, une blessure (No Sensibility, 2013). L’artiste marche sur du verre, recouvre sa peau d’aiguilles, s’enveloppe de coton, manipule de la glace ; elle opère des sorties de son propre corps pour incarner les maux qu’elle tente d’apaiser ou de guérir. Artiste et chamane, elle use de son corps pour recueillir et filtrer les récits qui lui parviennent et qui la constituent. Entre archives, totems et ex-voto, les photographies, les broderies et les sculptures apparaissent comme les extensions matérielles des actions éphémères. M. Mihindou est une artiste extrêmement attentive dont le travail s’inscrit dans le care (le soin) ; dans un élan profondément humaniste, elle se préoccupe des corps blessés par les luttes de pouvoir, les oppressions et les violences qui traversent la condition humaine.
M. Mihindou déploie une œuvre intersectionnelle où les problématiques raciales rencontrent celles du sexe, du genre, de la langue, de la classe. Elle s’appuie sur son expérience personnelle et sur l’histoire (notamment coloniale), pour mettre en forme et en mots les souffrances infligées à tou·te·s ceux et celles qui n’appartiennent pas à la communauté dominante. En ce sens, les notions de traumatisme, de réparation et de résilience constituent des territoires à fouiller. En 2004, elle réalise Déchoucaj’, une série de photographies prises à Haïti lors d’une transe collective improvisée juste après un événement violent. Elle photographie les corps et les expressions pour en restituer des images en négatif. Si les valeurs négatives (blanc, gris, noir) accentuent l’étrangeté de la situation, elles en atténuent la brutalité. Déchoucaj’ met en images la sortie de soi, la catharsis, le lâcher-prise, la communication avec un réel pluriel. Le déchoucage, terme haïtien, renvoie au déterrement de la souche d’un arbre que l’on vient d’abattre. L’action implique une violence, une amputation, une impossibilité de renaissance, l’effacement d’une histoire et par conséquent d’une mémoire. La privation d’une mémoire à la fois individuelle et collective, d’une expérience libre du corps, du déplacement, mais aussi toutes les formes de domination (sur les humains, les animaux et le vivant dans son ensemble) sont les thèmes autour desquels s’articule la pensée plastique et politique de M. Mihindou, qui, à travers ses œuvres protéiformes, trouve un espace pour la résistance et la résilience.