Feminine : Tayeba Begum Lipi, cat. expo., Bengal Gallery of Fine Arts, Dhaka, (15 juin – 28 juin 2007), Dhaka, Bengal Gallery of Fine Arts, 2007
Tayeba Begum Lipi: Never been intimate, Pi Artworks Istanbul/London, Istanbul, 31 octobre – 29 décembre 2013
→Tayeba Begum Lipi, Sundaram Tagore Gallery, New York, 3 mars – 2 avril 2016
Artiste multidisciplinaire bangladaise.
Tayeba Begum Lipi obtient une maîtrise d’arts plastiques à l’université de Dhaka en 1993. Ses sculptures, vidéos et tableaux remettent en question les rôles assignés aux sexes et la violence structurelle qui en découle au Bangladesh. En 2002, T. B. Lipi et son mari, l’artiste Mahbubur Rahman, fondent la Britto Arts Trust, la première association à but non lucratif gérée par des artistes au Bangladesh, destinée à l’accompagnement d’artistes émergents. En 2011, T. B. Lipi et M. Rahman inaugurent le premier pavillon national bangladais à la 54e Biennale de Venise.
La première grande exposition de T. B. Lipi, Toys Watching Toys [Jouets regardant des jouets], en collaboration avec M. Rahman, a lieu à l’Alliance française de Dhaka en 2002. Les œuvres présentées abordent le sujet de l’identité de genre dans un Bangladesh de plus en plus islamisé. Dans l’une des installations, des mannequins vêtus de burkas et dont les visages sont recouverts de moulages en fibre de verre du visage de T. B. Lipi sont assis face à une peinture à l’huile d’un triple autoportrait de l’artiste maquillée et sans voile. Ces deux incarnations de « Lipi » s’observent avec méfiance, chacune semblant douter de l’identité et des alliances de l’autre.
L’artiste interroge à nouveau les rôles genrés dans sa vidéo I Wed Myself [Je me suis épousée] (2010), qu’elle présente à la Biennale de Venise en 2011. On y voit T. B. Lipi se préparer pour son mariage dans les rôles des deux mariés. En incarnant ces deux genres, elle légitime la fluidité de sa propre identité et, ce faisant, défie les hiérarchies qui sous-tendent les institutions religieuses, matrimoniales et familiales.
T. B. Lipi poursuit son exploration de la fluidité du genre avec son installation multidisciplinaire Reversal Reality [Réalité inversée] (2015), présentée lors de l’exposition Cross Casting à Britto Dhaka et à l’India Art Fair. Le projet dénonce la marginalisation des personnes transgenres au Bangladesh. Une vidéo juxtapose des images de la vie cisgenre de T. B. Lipi et celle d’une femme transgenre bangladaise. Reversal Reality présente également des effets personnels féminins, dont une paire de chaussures à talons et un sac à main en épingles à nourrice et un sarcophage en lames de rasoir, en référence au taux élevé de suicides au sein de la communauté transgenre.
T. B. Lipi se met à confectionner des sculptures en épingles de sûreté et rasoirs en 2011. Dans son œuvre la plus célèbre, Love Bed [Lit d’amour] (2012, collection permanente du Musée Solomon R. Guggenheim), des centaines de lames de rasoir s’entremêlent pour former un lit double. À l’âge de cinq ans, T. B. Lipi regarde accoucher sa belle-sœur en cachette. Comme dans de nombreuses familles bangladaises rurales, une sage-femme accompagne l’accouchement à domicile, et Lipi, à travers son œuvre, évoque le moment où elle voit le cordon ombilical coupé à l’aide d’un rasoir. D’autre part, l’utilisation de ce matériau opère un inquiétant renversement : le lit marital, symbole de vie de famille et d’intimité, devient pour les femmes des villages bangladais un lieu où elles risquent leur vie.
De même, les épingles à nourrice ont une profonde résonance dans l’œuvre de T. B. Lipi. Son installation sculpturale Comfy Bikinis [Bikinis confortables] (2012), inaugurée lors de son exposition individuelle Never Been Intimate [Jamais eu de relations intimes] à Pi Artworks à Istanbul, présente quatre bikinis en épingles de sûreté. Comme un grand nombre de femmes en Asie du Sud-Est, T. B. Lipi subit des attouchements dans les transports publics lors de ses études à Dhaka. Elle se défend en piquant les mains anonymes de ses agresseurs avec ces mêmes épingles. Malgré l’aspect séduisant des bikinis, le matériau dont ils sont faits les transforme en armure et mettent en garde les potentiels prédateurs sexuels. T. B. Lipi vit à Dhaka, où elle continue d’examiner à travers sa pratique artistique le statut de la femme dans une société bangladaise en mutation.