Marta Pan, Lentilles flottantes, 1994, résine moulée, Ø 210 cm x 105 cm, Courtesy Galerie Mitterrand, © Fondation Marta Pan-André Wogenscky
Camille Claudel (1864-1943) apparaît comme la représentante des sculptrices françaises, mais elle n’est pas pour autant l’exception qui confirme la règle, puisque les femmes ont sculpté et sculptent encore. La sculpture est une pratique coûteuse, technique et physique, mais cela ne les a pas empêchées de s’y investir. La nécessité financière pousse les créatrices du début du XXe siècle à vendre leurs œuvres en se prêtant aux effets de modes, c’est le cas de Jane Poupelet (1874-1932) ou de Renée Sintenis (1888-1965) qui grâce au bestiaire se font une réputation dans le monde de l’art.
Certaines femmes prennent le burin et le ciseau pour répondre à des commandes officielles, celles-ci leur permettent de travailler la pierre à grande échelle et d’inscrire durablement leurs œuvres dans l’espace public. À Buenos Aires, la Fuente de las Nereidas [Fontaine des Néréides, 1903] fait de Lola Mora (1867-1936) l’une des sculptrices les plus réputées d’Argentine. L’Ouvrier et la kolkhozienne de Vera Ignatevna Moukhina (1889-1953), symbole du régime stalinien érigé pour le pavillon de l’URSS de l’Exposition universelle de 1937 à Paris, est lui aussi un bon exemple de sculpture monumentale et publique réalisée par une femme. Dans ces exercices, certaines se mesurent aux hommes, ainsi, Anna Sémionovna Goloubkina (1864-1927) lorsqu’elle cisèle l’une des portes de l’opéra moscovite, formule une réponse à la Porte de l’enfer de son maître français Auguste Rodin (1840-1917). Aussi, c’est en représentant les personnalités de leur temps que des sculptrices passent à la postérité, A. Sémionovna Gouloubkina réalise une galerie de portraits parmi lesquels celui du poète et écrivain Andreï Biély (1907), et Ausgusta Sauvage (1892-1962) quant à elle forme dans l’argile les visages illustres de la communauté noire américaine.
Des artistes initient aussi une réflexion sur l’environnement de l’œuvre : Germaine Richier (1902-1959) conserve une approche classique du corps et joue avec le socle qui en devient un élément constitutif ; en parallèle, Barbara Hepworth (1903-1975) s’intéresse aux formes ovoïdales qu’elle façonne dans des matériaux industriels. Cette innovation modifie le rapport de l’artiste à la matière : la pierre se taille, le plastique se plie, l’acier se tord… Les œuvres s’adaptent et répondent aux lieux dans lesquels elles s’installent. Marta Pan (1923-2008) s’amuse avec la double réflexion de l’eau et du métal, tandis que Saloua Raouda Choucair (1916-2017) réalise des sculptures qui se transposent dans divers matériaux – le bois, la pierre, le métal, la terre cuite ou encore la fibre de verre – et dont l’échelle va du minuscule au monumental.
Les questionnements sur la forme et le corps ont habité tant les sculptrices modernes que contemporaines qui en ont fait un outil de contestation puissant. On l’observe dans le travail de Tayeba Begum Lipi (née en 1969) qui projette son propre visage sur des mannequins en burqa – dans son installation Toys Watching Toys en 2002 – afin de dénoncer l’islamisation de la société bangladaise, mais aussi chez Berlinde de Bruyckere (née en 1964), où les corps faits de cire blême sont mis en souffrance. L’artiste y lie des éléments de l’iconographie chrétienne pour se rapprocher des sculptures religieuses réalistes espagnol du XVIIe siècle.
Récemment, le travail de Marie Orensanz (née en 1936) a bénéficié d’une nouvelle mise en lumière grâce au prix d’honneur AWARE 2020. Les œuvres des sculptrices ont aujourd’hui une reconnaissance et sont célébrées dans des expositions telles que Sculpture’Elles. Les sculpteurs femmes du XVIIIe siècle à nos jours (2011) au musée des années 30 à Boulogne-Billancourt, mais aussi des publications comme l’ouvrage d’Anne Rivière, Dictionnaire des sculptrices en France (2018) qui inventorie le travail d’un grand nombre d’artistes femmes encore peu (re)connues.