Prix AWARE

Charwei Tsai
Nommée au Prix 2024

© Christopher Adams

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Green Island Human Rights Art Festival, 2020
If on the margin, draw a coordinate
Curated by Sandy Hsiu-Chih LO
Green Island White Terror Memorial Park, Taiwan

Exhibited works: Numbers, 2020, and Songs We Carry, 2017~2018

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Lanyu – Three Stories, 2021, 3 HD Videos with sound, 4 min each
In collaboration with Tsering Tashi Gyalthang

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

An Aspiration, 2020, various objects including shells, bones, and stones hand-inscribed with prayers, dimensions variables

Le mot flow vient du latin fluere. C’est le changement perpétuel dans la nature, la « fluxion », comme l’entropie, la dégradation de l’énergie, de permutation de l’ordre, un moment universel résident en « tout », comme le flux de la musique, vain d’être divisé instant par instant. Pour JJJJJerome Ellis, poète, musicien et bègue, les deux mots fluent et dysfluent viennent du fluere et relient dysfluency, noirceur, queer et musique, une intersection de luttes, de « handicaps » et d’art comme l’essence d’une existence non normative, un effacement binaire. Ellis cite Toni Morrison sur l’eau et le fait de se souvenir (remembering) : « L’eau a une mémoire parfaite et elle essaie toujours de revenir là où elle était1. » Le retour constant à l’origine, circulaire dans la répétition, comme un courant d’eau, ces pensées fluere qui insistent dans l’œuvre de Charwei Tsai relèvent la perception du temps cosmique, un deep time planétaire nous transcendant d’un point de vue géologique et spirituel. Prenant la forme du cercle, en tant que geste fluide et calligraphique, c’est une signature de l’artiste, une formule magique qui traverse une série d’œuvres visuelles (vidéos, textiles, objets organiques), d’œuvres performatives en formant un chœur collectif (Songs We Carry, 2017-2018), de danse chamanique (Lanyu – Three Stories, 2012) ou d’œuvres éditoriales réunissant dans un cercle imaginaire des artistes, penseur·se·s et activistes dans le magazine Lovely Daze.

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

A Temple, A Shrine, A Mosque, A Church, installation of hand-woven mats by craftswomen from AI Ghadeer, Abu Dhabi, UAE
View from « Coming Together » (solo exhibition), TKG+, Taipei, Taiwan

Née en 1980 à Taipei, Charwei Tsai grandit dans une famille traditionnelle, où la place des femmes n’est pas pleinement reconnue. Elle prend rapidement ses distances et part étudier aux États-Unis l’histoire de l’art, le design et l’architecture. Paradoxalement, c’est ici qu’elle trouve les origines de son travail spirituel ; dans les récits de la migration de la communauté tibétaine à New York dans les années 1960, conséquence de l’interdiction de la spiritualité pendant la Grande Révolution culturelle prolétarienne (1966-1976), ainsi que dans le mouvement Fluxus, qui, par son approche de l’art intuitif et processuel qui performe la vie quotidienne, réunit des artistes exilé·e·s (principalement de la Seconde Guerre mondiale).

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Performance of Circle, Centre Pompidou, Paris, France, 2022
Sound for Circle by Davaajargal Tsaschikher
Curated by Simona Dvorák and Linus Gratte

Photo Courtesy of Centre Pompidou & the artist.

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

From a Dust Particle to the Universe, 2021, Durational performance and installation with natural cinnabar pigment & ink
Live Forever Foundation National Taichung Theatre (Opera House) Taichung, Taiwan, 2021

Photo by Anpis Wang, Courtesy of Live Forever Foundation

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

The Womb & The Diamond, 2021, installation of mirror, hand-blown glass, and a diamond
Live Forever Foundation, Taichung, Taiwan, 2021

Photo by Anpis Wang, Courtesy of Live Forever Foundation

C. Tsai se plonge dans l’étude du bouddhisme, du zen et du tantra, qu’elle approfondit par de nombreux séjours en Asie, en dialogue avec les moines, pour nourrir son travail artistique et sa relation aux spectateur·rices. Fascinée par les rituels mystiques et chamaniques, elle y trouve la performance artistique la plus aboutie : dans la simplicité du geste, son intention est souvent liée à des formes de guérison et dans l’essentialité de la supraconscience. Plus récemment, elle incarne cette conception dans la performance Cercle (2022), dans laquelle elle dessine un cercle calligraphié sur un bloc de glace dans la grande salle du Centre Pompidou ; la peinture se disperse, le cercle s’étire, s’étiole et disparaît. Le son captivé et amplifié sortant du bloc de glace fondant attire notre attention sur la présence de mécanismes invisibles – le processus naturel en réponse à la chaleur. Cercle nous invite à une contemplation profonde des éléments, accompagnée par la partition musicale de l’artiste sonore mongol Davaajargal Tsaschikher.

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Hear Her Singing, 2017, installation view, Southbank Centre, London.

Photo: Amas Amat Amo.

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Lullaby for Mother Nature, 2020, performance by Mongolian artists Ganzug Sedbazar & Davaajargal Tsaschikher
Produced by Charwei Tsai
For the occasion of Lovely Daze Issue 11 book launch
TKG+, Taipei, Taiwan

Photo by Anpis Wang, Courtesy of TKG+

Cette artiste cosmopolite et déracinée a continué d’explorer sa spiritualité depuis maintenant plusieurs années au cours de multiples séjours dans les régions montagneuses autochtones de Taïwan, les villages d’Abu Dhabi, le désert de Gobi en Mongolie, à Java, en Indonésie ou encore au Japon. Alors qu’elle met en évidence, à travers son œuvre, les injustices sociétales, les inégalités, les déplacements forcés (Songs of Chuchepati Camp, Nepal, 2017 ; Songs of Migrant Workers of Kaohsiung Harbor, 2018), la détention dans des camps (Hear Her Singing, 2017) et dans les prisons (Numbers, 2020, au Green Island Human Rights Art Festival à Taïwan), Charwei Tsai ne se considère pas comme une militante mais comme une médiatrice entre l’art et le monde.

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Earth Mantra, 2009, photograph

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Sea Mantra, 2009, photograph, 89×127 and 127x81cm
Photographed in Sydney, Australia

Commissioned by Sherman Contemporary Art Foundation, Sydney, Australia

Entre autres, le fait d’écrire le Sutra du cœur, un texte spirituel sur le concept bouddhiste de l’impermanence, avec des pigments végétaux et minéraux sur des objets éphémères (Tofu Mantra, 2005 ; Mushroom Mantra, 2005 ; Lotus Mantra, 2006 ; Olive Tree Mantra, 2006…), puis de le laisser se transformer par décomposition physique, constitue une proclamation essentielle de l’interdépendance ; comme la forme vide face à la forme pleine, c’est à la fois la forme de la finitude et de l’infinitude. Quant à Sky Mantra, Earth Mantra et Sea Mantra (2009), le Sutra du cœur recouvre un miroir reflétant les divergences atmosphériques naturelles, interpellant la pensée de l’artiste et philosophe Denise Ferreira da Silva, pour qui le « passé » et l’« histoire » ne sont qu’une transmutation et une interconnexion cosmologique du présent, qu’elle appelle deep implicancy2. Ce phénomène correspond à notre époque et englobe « le mouvement des personnes, le mouvement des nuages, des idées, de la terre, et la migration de la matière, au niveau quantique, d’un état à un autre3 ».

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Kalachakra, 2021, In collaboration with Khorolsuren Dagvajantsan & Tsaschikher Tsagaankhuu, a pair of hand-crafted and embroidered felt from Mongolia

Live Forever Foundation, Taichung, Taiwan, 2021, Photo by Anpis Wang, Courtesy of Live Forever Foundation

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Balaubulau – A Study, 2018, HD video with sound & colorm 12’38’’
Sponsored by Live Forever Art Foundation, Taichung, Taiwan

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Ancient Desires, 2023, ceramic offering vessels on exhibit at Making New Worlds: Li Yuan Chia & Friends
Co-curated by Hammad Nasar, Sarah Victoria Turner, and Amy Tobin
At Kettle’s Yard & Jesus College, University of Cambridge, UK, until 18 February 2024.

Photo by Jo Underhill

Charwei Tsai - AWARE Artistes femmes / women artists

Coming Together, 2022, textile made in collaboration with Bulaubulau Aboriginal Village, Yilan, Taiwan

View from « Coming Together » (solo exhibition), TKG+, Taipei, Taiwan, 2022, Photo by Anpis Wang, Courtesy of TKG+

Charwei Tsai intègre l’idée d’interdépendance dans chaque aspect de son travail ; elle réfléchit à la manière d’utiliser les fonds dans l’économie circulaire, en les partageant avec les artisanes et les communautés avec lesquelles elle travaille étroitement (Ndewa & Hamanangu Series, 2021 ; Kalachakra, 2021…), en tentant de préserver la mémoire et les savoir-faire oraux disparaissant avec la mondialisation et l’industrialisation. Sa pratique est aussi une voix critique de la structure néolibérale de l’art contemporain, de la société moderne, qui domine l’économie et épuise les ressources naturelles ainsi que l’esprit humain jusqu’au point zéro. L’artiste interpelle la durabilité et la mutualisation (Bulaubulau – A Study, 2018), remplaçant les ravages de l’insatisfaction par une pratique quotidienne de l’offrande et de la solidarité (Ancient Desires, 2023). Enfin, son œuvre peut être qualifiée de profondément humaniste, dans une quête de soin et d’attention relationnelle de tous les instants, dénonçant la structure coloniale, raciale et hétéro-patriarcale inhérente depuis la pensée des Lumières. Une œuvre « poéthique », d’avant-garde élémentaire, qui entremêle récits cosmologiques et mouvements atomiques, comme une partition silencieuse et quantique de désirs ancestraux.

Simona Dvorák

 

Charwei Tsai est née en 1980 à Taipei, à Taiwan. Elle réside actuellement à Paris. Oscillant entre l’intime et l’universel, son travail articule des questionnements sur la relation entre l’homme et la nature. Elle fait appel aux motifs géographiques et sociaux par l’implication de connaissances spirituelles, ancestrales et scientifiques pour parler d’une union entre les espèces, les esprits et l’environnement. Cette union se traduit à travers des vidéos documentaires et contemplatives ou l’écriture calligraphique de mantras sur des supports divers et souvent vivants : arbres, tofus, champignons, feuilles de lotus…
Le travail de Charwei Tsai a été exposé à la Biennale de Gwangju (2023) ; In the Present Moment au Banff Art Centre, Canada (2023) ; World Classroom au Mori Art Museum, Tokyo (2023) ; Forum Climat au Centre Pompidou, Paris (2022) ; ou Tate Modern, Londres (2022), parmi d’autres. Elle est membre de l’Initiative for Practices and Visions of Radical Care et a contribué au projet radiophonique On Care and Resilience à la documenta fifteen de Kassel (2022). Les œuvres de Tsai figurent dans des collections publiques et privées, notamment à la Tate Modern de Londres, à la Queensland Art Gallery de Brisbane, au Mori Art Museum de Tokyo, à l’Asian Art Museum de San Francisco, à la M+ Collection de Hong Kong, à la Fondation Faurschou de Copenhague, à la Kadist Foundation de San Francisco, en France, à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne (Rhône-Alpes) et au FRAC Lorraine (France). Depuis 2005, Tsai publie également un journal semestriel intitulé Lovely Daze.

1
Toni Morrison, « The site of memory », dans William Zinsser (dir.), Inventing the Truth. The Art and Craft of Memoir, New York, Houghton-Mifflin, 1995, p. 99.

2
Waters : Deep Implicancy (2018), 31 minutes, réalisé par Arjuna Neuman et Denise Ferreira da Silva.

3
Ibid.

simona dvorák est curatrice et historienne de l'art basée à Paris. Elle s’intéresse à des pratiques performatives, sonores, radiophoniques et vidéo, en mettant en valeur un travail collectif à long terme. En tant que curatrice au sein de l'Initiative for Practices and Visions of Radical Care, elle étudie la manière dont nous pouvons créer des espaces communs et solidaires dans la sphère culturelle. Plus récemment, elle a été boursière du programme Art et éducation à la documenta fifteen à Kassel et a collaboré sur la conception du programme Walking with Water, imaginé en relation avec le pavillon serbe de la 59e Biennale de Venise. Elle a été également chargée de programmation au Centre Pompidou à Paris et curatrice associée, avec tadeo kohan, pour le programme curatoriale actes de langage (2023) à la Maison populaire de Montreuil. Actuellement, elle développe de recherche sur les politiques d’archives au Rockbund Art Museum, Shanghai et travaille auprès de Nataša Petrešin Bachelez pour la 60e Biennale de Venise en collaboration avec Alserkal Initiatives et la Cité internationale des arts.
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