Prix AWARE

Bianca Bondi
Nommée au Prix 2020

À la croisée de protocoles scientifiques expérimentaux et de rituels ésotériques, de mythologies ancestrales et de fictions spéculatives, l’art de Bianca Bondi pourrait être qualifié de sorcellerie du Chthulucène.

Bianca Bondi - AWARE Artistes femmes / women artists

Bianca Bondi, vue d’exposition personnelle à la VNH Gallery, 2019, dans le cadre de la foire Art O Rama (2019), Courtesy Bianca Bondi, © ADAGP, Paris, © Photo : JC Lett

Ce terme forgé par l’historienne des sciences, anthropologue et philosophe féministe Donna Haraway pour désigner notre époque, qui, selon elle, « enchevêtre une myriade de temporalités et de spatialités, d’entités-en-assemblages intra-actives – incluant le plus-qu’humain, l’autre-qu’humain, l’inhumain, et l’humain-comme-humus1 » ouvre de fait des perspectives fécondes pour évoquer les œuvres de l’artiste, en perpétuelle métamorphose à l’ère du désastre écologique.

La conscience de l’impact de l’économie capitaliste mondialisée sur l’environnement, de ses conséquences sur l’ensemble des règnes du vivant et du non-vivant, de l’humain et du non-humain est enracinée dans la pratique de l’artiste, sans pour autant que celle-ci en fournisse une illustration moralisatrice. Qu’elle prenne pour point de départ l’aptitude d’un papillon de nuit à boire les larmes d’un oiseau pendant son sommeil, l’incidence de l’augmentation de l’intensité solaire sur le niveau des océans, ou la présence de microparticules de plastique sur la quasi-totalité du globe, il en résulte des œuvres hybrides nées de la rencontre d’objets et de matériaux organiques et synthétiques, choisis non seulement pour leurs propriétés physiques mais aussi pour l’aura symbolique et l’énergie qui leur sont associées dans différentes cultures. Sous l’effet de réactions chimiques plus ou moins contrôlées, les formes générées incluent alors leurs propres processus de transformation, témoignant d’un sentiment d’impermanence et d’instabilité.

Bianca Bondi - AWARE Artistes femmes / women artists

Bianca Bondi, The Sacred Spring and Necessary Resevoirs, 2019, installation, objets et matériaux divers. Les anciennes usines Fagor Brandt dans le cadre de la XVe Biennale de Lyon (2019). Courtesy Bianca Bondi, © ADAGP, Paris

Bianca Bondi - AWARE Artistes femmes / women artists

Bianca Bondi, The Sacred Spring and Necessary Resevoirs, 2019, installation, objets et matériaux divers. Les anciennes usines Fagor Brandt dans le cadre de la XVe Biennale de Lyon (2019). Courtesy Bianca Bondi, © ADAGP, Paris

Il en va ainsi des œuvres de la série Bloom (2017-2018), que l’artiste qualifie de « natures mortes vivantes2 » : compositions sous vitrines de matières organiques (pattes de kangourou, fleurs séchées, coraux…) et d’objets domestiques d’époques et d’origines géographiques variées (livres, vaisselle en cuivre…) soumis à des processus d’oxydation et de cristallisation. Si la séduction visuelle de ces vanités contemporaines est indéniable, elle n’est toutefois qu’un leurre pour attirer l’attention sur des phénomènes invisibles et les histoires qui les sous-tendent. Car les œuvres de Bianca Bondi ne poussent pas hors sol et sont le fruit de relations symbiotiques avec le site dans lequel elles s’inscrivent. Ainsi à l’occasion de la XVe Biennale de Lyon (2019) a-t-elle en premier lieu mené l’enquête sur le passé du site industriel récemment fermé dans lequel se déroule l’exposition, afin d’imaginer une intervention prenant en compte les multiples strates de son histoire et de sa mémoire. Investissant un espace semi-clos de l’usine, elle y a reconstitué le cadre familier d’une cuisine, dont les éléments se colorent et se cristallisent lentement sous l’effet de l’eau et du sel, substance à la fois protectrice et corrosive, employée dans de nombreuses cultures, religions et pratiques magiques pour ses vertus purificatrices.

Œuvres-autels pour des cultes inconnus, œuvres-portails entre des cultures, œuvres mutantes d’un monde abîmé, l’art de Bianca Bondi est celui d’une sorcière de notre temps.

Yoann Gourmel

 

Bianca Bondi (Johannesburg, Afrique du Sud, 1986) vit et travaille à Paris. Pluridisciplinaire, sa pratique implique l’activation d’objets et se développe souvent en lien avec le lieu dans lequel elle intervient. Les matériaux qu’elle travaille sont choisis pour leur potentiel de transformation ou leurs propriétés intrinsèques. Ses œuvres ont été exposées notamment au Plato (Ostrava, République tchèque), au Tag Team Studio (Bergen, Norvège), à La Panacée MOCO (Montpellier), au BOZAR (Bruxelles, Belgique), au SFER IK Museion (Tulum, Mexique), ou encore dans le cadre de la Biennale de Lyon 2019. Elle a été finaliste de la bourse Révélations Emerige 2015, du prix Le Meurice pour l’art contemporain 2018 et du prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo 2018.

1
Haraway Donna, « Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène, Chthulucène. Faire des parents », Multitudes, hiver 2016, no 65, http://www.multitudes.net/anthropocene-capitalocene-plantationocene-chthulucene-faire-des-parents.

2
Ajan Line, « Conversation avec Bianca Bondi », Figure Figure, janvier 2019, no 12, https://figurefigure.fr/pdf/FigureFigure12BiancaBondi.pdf.

Rapporteur : Yoann Gourmel est curateur au Palais de Tokyo (Paris). Il exerce également une activité de commissaire indépendant, intervient régulièrement dans les écoles d’art et écrit pour différentes revues et publications. Au Palais de Tokyo, il a notamment organisé les expositions collectives Encore un jour banane pour le poisson-rêve (2018) et Sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce (2017), ainsi que les expositions personnelles de Julien Creuzet (2019), Massinissa Selmani (2018) et Taloi Havini (2017). Il a coordonné l’équipe curatoriale du Palais de Tokyo pour Là où les eaux se mêlent, XVe Biennale d’art contemporain de Lyon (2019-2020).

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