Prix AWARE

Cheryl Ann Bolden
Nommée au Prix 2023
Cheryl Ann Bolden - AWARE Artistes femmes / women artists

Cheryl Ann Bolden, The cost, 2011, os, étiquettes de prix de boucherie, © Cheryl Ann Bolden

Cheryl Ann Bolden - AWARE Artistes femmes / women artists

Cheryl Ann Bolden, Forest Altar, 2012, os, éléments naturels locaux, poutre, © Cheryl Ann Bolden

Artiste, collectionneuse et archiviste, Cheryl Ann Bolden est la descendante de six générations d’Africain·e·s-Américain·e·s1. Sa démarche artistique s’appuie principalement sur des objets porteurs de mémoire. Elle travaille avec des pièces et des documents originaux qui témoignent de la traite négrière comme des périodes ségrégationnistes et coloniales, aux États-Unis et en Europe. Les gestes qui constituent sa pratique sont les suivants : performer, assembler, archiver et transmettre.

Cheryl Ann Bolden - AWARE Artistes femmes / women artists

Cheryl Ann Bolden, Space body, 2020, métal, os, plastique, © Cheryl Ann Bolden

Cheryl Ann Bolden - AWARE Artistes femmes / women artists

Cheryl Ann Bolden, Installation in Cuba, 2014, à El Cimarron, arbre, documents esclavagistes, © Cheryl Ann Bolden

Pour C. A. Bolden, le travail archivistique s’élabore à partir du patrimoine matériel et immatériel : « Je considère mon corps comme une archive, comme une œuvre. » Performeuse, elle interroge et réactive ce lien du corps, de son corps, avec les traces physiques de l’histoire. En 2014, lors d’un voyage à Cuba, elle effectue des libations avec du rhum au pied d’arbres séculaires se trouvant sur les anciens sites où étaient vendues les personnes mises en esclavage, importants lieux de mémoire. Posé sur les racines visibles au pied d’un arbre, un document prouvant l’achat de personnes esclavisées témoigne de ce geste. On peut toutefois se demander si l’on peut tout faire dire aux archives, puisqu’elles parlent du réel sans jamais le décrire2. Dans l’acte d’archiver et de performer, C. A. Bolden viendrait les enrichir, en y apportant de la texture vitale.

L’écrivain états-unien Ta-Nehisi Coates, dans Une colère noire. Lettre à mon fils3, considère que les corps noirs n’appartiennent pas complètement à celles et ceux qui les portent. En raison des violences passées et présentes, Coates défend l’idée selon laquelle ils seraient encore vus et traités comme s’ils étaient dépourvus de subjectivité et, in fine, d’humanité. La destruction des corps noirs est, selon lui, un héritage4. Faisant régulièrement référence à la lignée maternelle dans sa famille, C. A. Bolden traite la question de la transmission du vécu traumatique5 par différents canaux : le récit direct, les objets hérités, la mémoire corporelle subjective.

Cheryl Ann Bolden - AWARE Artistes femmes / women artists

Cheryl Ann Bolden, Stereotypical Statements about Black Women, 2020, photographie en noir et blanc, © Cheryl Ann Bolden

Cheryl Ann Bolden - AWARE Artistes femmes / women artists

Cheryl Ann Bolden, Performance à l’INHA, janvier 2023 © Cheryl Ann Bolden

En réactivant des objets destinés a priori au domaine muséal, C. A. Bolden donne au public – issu de la diaspora ou non – la possibilité de se réapproprier ces éléments et leur mémoire, de manière intime et, paradoxalement, dédramatisée. Toucher et considérer le vrai poids d’une chaîne de cheville en fer massif, acquise dans une boutique d’antiquités en Normandie. Déchiffrer sur un bout de papier la facture en anglais pour trois chevaux et deux « nègres » achetés par un même propriétaire à la fin du XIXe siècle. Constater l’évolution de la représentation des visages noirs, qui va d’un livre pour la jeunesse hollandais vieux de plus de 100 ans aux cartes postales américaines et françaises montrant les corps non blancs de manière stéréotypée, voire animalisée.

Cheryl Ann Bolden - AWARE Artistes femmes / women artists

Cheryl Ann Bolden, Afro-healing, 2001, cheveux, aiguilles d’acupuncture, © Cheryl Ann Bolden

C. A. Bolden est également connue par son travail Precious Cargo Museum. Il s’agit d’une structure itinérante et d’un projet pédagogique dédié à la transmission aux plus jeunes de l’histoire et de la culture de la diaspora africaine, afin d’activer la dimension collective de ce passé communément vue comme appartenant à un seul groupe.

L’artiste fait libérer la parole à travers ces objets. Et, par cette libération, une certaine guérison s’opère. Dans sa sculpture Afro Healing (2001), des aiguilles sont posées sur un volume constitué de cheveux crépus. C. A. Bolden détecte le point douloureux, le perce, puis laisse la douleur se diffuser jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Ou, mieux, jusqu’à ce qu’elle se transforme.

Danilo Lovisi

 

Cheryl Ann Bolden est née en 1957 à Newark, dans le New Jersey, aux États-Unis. Artiste, collectionneuse et archiviste, elle vit et travaille à Paris depuis la fin de années 1990. Les gestes qui constituent sa pratique sont les suivants : performer, assembler, archiver et transmettre. De formation pluridisciplinaire, C. A. Bolden a étudié l’art et le design à la Corcoran School à Washington, le design textile et le tissage au Fremantle Art Center à Fremantle en Australie, ainsi que l’acupuncture à la New England School of Acupuncture au Massachussetts. Grande voyageuse, elle a vécu au Mexique, en Allemagne, en Chine, en Australie, au Portugal, en Grande-Bretagne ; elle a également séjourné dans de nombreux pays africains. Non seulement ces expériences ont enrichi son regard, mais elles ont aussi nourri sa collection d’objets et de documents originaux en rapport avec l’histoire des périodes coloniales et ségrégationnistes, que ce soit aux États-Unis ou en Europe.

1
L’artiste préfère ce terme à celui d’Afro-Américain·e·s.

2
Farge Arlette, Le Goût de l’archive, Paris, Seuil, 1989.

3
Coates Ta-Nehisi, Between the World and Me, New York, Spiegel & Grau, 2015 ; version française : Une colère noire. Lettre à mon fils, traduction de Thomas Chaumont, Paris, Autrement, 2016.

4
« les services de police de ton pays ont été dotés du pouvoir de détruire ton corps. Peu importe que cette destruction soit le résultat d’une réaction malencontreuse et excessive. […] Si tu vends des cigarettes sans en avoir l’autorisation légale, ton corps peut être détruit. […] si tu empruntes un escalier trop sombre, ton corps peut être détruit. Les auteurs de cette destruction auront rarement des comptes à rendre. […] Tout ceci est une histoire banale pour les Noirs. Tout ceci est de l’histoire ancienne. Personne n’est tenu responsable ». Coates Ta-Nehisi, op. cit., p. 27-28. Dans My Grandmother’s Hands: Racialized Trauma and the Pathway to Mending Our Hearts and Bodies (Las Vegas, Central Recovery Press, 2017), Resmaa Menakem invite les lecteurs et lectrices à reconnaître que l’expérience du racisme ne concerne pas seulement l’esprit, mais aussi le corps. Il montre comment nous pouvons dépasser nos divisions dites « raciales », bien ancrées, en prenant conscience du fait que le corps est l’endroit où résident nos instincts et qu’il endure le traumatisme infligé par les maux qui rongent la société.

5
Dans The Body Keeps the Score: Brain, Mind, and Body in the Healing of Trauma (New York, Viking Penguin, 2014), le psychiatre Bessel Van der Kolk fait état de ses recherches sur les effets des expériences traumatiques sur le corps, qu’il s’agisse de micro-traumas ou de traumatismes dus à la guerre. Il étudie les différentes façons dont le corps en est affecté, et développe notamment l’idée de ce qu’il appelle le « transgenerational trauma » : le vécu traumatique transmis de manière héréditaire.  

Danilo Lovisi est diplômé en Histoire de l’art, muséologie et médiation culturelle par l’École du Louvre. Curateur et auteur, il assure en 2020 le co-commissariat de l’exposition « Fibres Africaines » au Musée de la Toile de Jouy. Il participe à la réalisation de l’ouvrage « Ndop, étoffes des cours royales et sociétés sécrètes du Cameroun » de Ly Dumas (Gourcuff Gradenigo, 2020). En tant que directeur culturel de la Fondation Jean-Félicien Gacha au Cameroun et de l’Espace Gacha à Paris, il coordonne l’ensemble des projets artistiques, littéraires et culturels menés en France et à l’international. En parallèle de son travail institutionnel, Danilo réactive sa pratique d’écriture poétique, mise en pause depuis son départ du Brésil en 2013.
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