Prix AWARE

Dominique de Beir
Nommée au Prix d’honneur 2017

© Anna de Beir

Dominique De Beir, dans les séries qu’elle développe depuis une vingtaine d’années, a porté son attention sur des matériaux modestes, anti-spectaculaires : papier cristal, carbone ou de verre, polystyrène extrudé, cartons perforés de machines à broder… Sur ces supports, le dessin va advenir, la plupart du temps sans crayon ni encre, à travers un répertoire de pratiques pour lesquelles l’artiste use d’outils mystérieux, fabriqués pour l’occasion ou empruntés au domaine médical ou culinaire : ce sont eux qui viennent piqueter, meurtrir, inciser, ouvrir ou étriller. Les délicats scalpels côtoient les inquiétants bistouris, les brosses en acier, les doigtiers à picots ou d’impressionnantes roulettes dentelées. Pour certaines pièces, des liquides variés viennent altérer la matière inerte, qu’il s’agisse d’une cire chaude enveloppante et odorante dans lequel le papier est trempé, d’une huile venant diffuser par capillarité une tache floue rendant le carton opalescent, ou encore de projections d’eau de javel, décolorant leur support dans un faisceau lumineux. D’autres dessins, d’une grande délicatesse, paraissent figurer des mèches de cheveux libérés de toute gravité.

Mais les œuvres, en dépit des opérations parfois chirurgicales qu’elles subissent, révèlent une écriture mystérieuse, palimpseste des interventions éprouvées, plutôt qu’elles ne connotent une quelconque violence. Ce braille d’un genre nouveau, qui se dessine en sillons, en cribles ou en cloques, est travaillé à la surface des matières colorées comme une peau dont les pores se dilateraient. Bien que Dominique De Beir ait investi au cours des dernières décennies des pratiques variées qui pour certaines rappellent plutôt le dessin, pour d’autres s’orientent vers l’installation, notamment avec de grands environnements poinçonnés, ou encore l’édition de livres d’artiste, elle se définit d’abord comme peintre. Une peintre pour qui l’idée de la révélation serait capitale, elle qui attaque ses matières toujours sur l’envers, afin que la forme finale ne se distingue qu’une fois ces dernières retournées. Il s’agit, dit-elle, de chercher des surfaces toujours mouvantes, où la maîtrise du geste advient sur un corps qui sera cisaillé, craquelé de toutes parts.

Dans les années 1990, Dominique De Beir s’était intéressée à des fragments animaux, qu’elle avait superposés sur des papiers calques ; aujourd’hui, les représentations de corps ont disparu, mais ses œuvres semblent ne pas dire autre chose. Dans leurs frottements, leurs fragilités, leurs mises à nu, elles sont une autre image de corps frissonnants, parfois souffrants, et dans tous les cas ne pouvant laisser indifférent.

Camille Paulhan

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