Prix AWARE

Hélène Bertin
Lauréate du Prix 2019

© Hélène Bertin

Une femme s’avance vers moi.
Elle s’arrête cueillir un bouquet de genêt puis se détourne et pénètre dans une cour. Au fond, un atelier offre aux regards différents objets en terre. Leurs formes évoquent irrésistiblement un corps, ses sens, ses émotions, sa nonchalance et son animalité.

Hélène Bertin - AWARE Artistes femmes / women artists

Hélène Bertin, Lavoir, 2017, grès, aluminium, acier patiné, bio-éthanol, vue de l’exposition Rien ne nous appartient : Offrir, cur. Flora Katz, Fondation d’entreprise Ricard, 2017, © Photo : Aurélien Mole

Hélène Bertin - AWARE Artistes femmes / women artists

Cuisson de la sculpture Joie chez Gaëlle Cognée, 2018, © Photo : Hélène Bertin

La pratique d’Hélène Bertin ne s’encombre pas d’oppositions. Corps et objets sont des continuités. La tasse peut être façonnée par la taille de sa main, un piétement prendra la forme d’un pied humain ou des sculptures peintes au khôl deviendront regards. Elle a pu me le dire ou l’écrire, elle éprouve une attirance pour la simplicité de certaines matières. Ses sculptures, essentiellement en céramique, sont ainsi souvent nues, sans émail ni patine, peignant les gestes doux ou brutaux qui les ont vues naître et qui émergent d’un quotidien. Ainsi un cadran solaire, dont le style mime le roseau, arbore-t-il les différents signes qui président au découpage d’une journée : la maison pour le repos, l’œil ouvert sur le monde ou le bâton symbolisant l’outil. Quand l’air s’humidifie, la tige ploie et adapte le rythme du corps à celui de l’atmosphère.

Hélène Bertin - AWARE Artistes femmes / women artists

Plantes frappées, premier jour, Workshop tinctorial #1, 2018, Nina Bernagozzi, Noémie Bablet, Lou Montezin, Céline Vaché-Olivieri, Angeline Ostinelli, invitations par Hélène Bertin, © Photo : Hélène Bertin

Hélène Bertin - AWARE Artistes femmes / women artists

Réalisation d’Antoine Barberon, Workshop culinaire # 4 Hostie, 2018, Antoine Barberon, Sophie Bonnet-Pourpet, Romain Bodart, Sarah Holveck, Emmanuel Van der Meulen, invitations par Hélène Bertin, © Photo : Hélène Bertin

Dans son atelier à Cucuron, des rendez-vous annuels ritualisent cette attention au faire, à l’autre, aux plantes comme aux oiseaux : workshop tinctorial ou culinaire autour du tilleul… Des techniques, tels la gravure ou le tournage, qu’elle va apprendre et partager, nourrissent aussi sa quête d’usage. Tout projet en alimente d’autres, relie le travail au cœur, l’émotion à la mémoire, les mots et la bouche, comme son écriture dont le phrasé cherche précisément ce trait entre l’œuvre et l’intimité. Car dans ses formes, qu’elles soient sculptures, recherches ou workshop, séjournent des histoires. Creusant la possibilité d’un art d’usage et d’un art social, Hélène Bertin a croisé des figures, des postures ou des rites qui ensuite l’ont accompagnée – Sophie Taeuber puis Valentine Schlegel et aujourd’hui la cérémonie de « l’arbre de mai ». Hélène Bertin parle de la puissance de certains gestes : avec Sophie, le désir de ne pas créer pour l’espace muséal, avec Valentine, celui de fabriquer des sculptures utiles et maintenant, avec l’arbre, la magie du rassemblement citoyen.

Hélène Bertin - AWARE Artistes femmes / women artists

Vue de l’exposition Ensauvagement, conçue par Céline Laforest et Hélène Bertin, concert d’Is a fish sur une peinture de Nina Bernagozzi au domaine des Tuiles Bleues, 2017, © Photo : Laurence Bertin

 

De son art de poche se dépliant au musée, en voiture ou au café, émergent des sculptures qui, exposées, pourraient se libérer et qui, tout en étant des objets d’usage non figés, ne renient pas leur force humoristique et critique. C’est tout le paradoxe de ce travail, qui s’attache à créer des « émotions sociétales », comme elle les appelle, à travers un foyer, une tisanière, un repas ou une exposition. À mon oreille, Hélène Bertin cite Vinciane Despret : « L’émotion est une évaluation morale, une pensée incarnée, et parce qu’elle est incarnée, parce qu’elle est intériorisée, elle présente une force et un automatisme auxquels ne peut prétendre la pensée. »1 L’émotion qu’Hélène Bertin articule au corps, au sien comme à celui des autres, s’enroule dans l’usage, dans ce lien entre l’intimité profonde et la vie sociale, dont elle travaille les rouages.

 

Hélène Bertin (1989) a étudié dans trois établissements aux pédagogies différenciées : le lycée Frédéric-Mistral à Avignon en section arts appliqués, l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon où elle cofonde le collectif Plafond, puis l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy dont elle sera diplômée en 2013. Cette même année, parallèlement à son DNSEP, elle commence des recherches autour du travail de Valentine Schlegel qui transforment peu à peu mais résolument sa vision de l’art. Sa pratique oscille de la sculpture au workshop et à la recherche, une démarche volontairement bâtarde qui la positionne entre artiste, curatrice et historienne. Elle travaille à Paris et à Cucuron où elle déploie des invitations pour travailler avec ses hôtes, Hélène Bertin développe son art en lien avec autrui (artistes, associations, artisans, familles…). Ses sculptures et projets ont été présentés au sein d’espaces alternatifs (Pauline Perplexe, DOC) et d’institutions publiques (CAC Brétigny, château d’Oiron) ou privées (Fondation Ricard, Lafayette Anticipations).

1
Vinciane Despret, Ces émotions qui nous fabriquent. Ethnopsychologie des émotions, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2001.

Rapporteuse : Céline Poulin
Directrice du CAC-Brétigny depuis juin 2016, Céline Poulin y développe un programme faisant des artistes, théoriciens et amateurs de véritables usagers du lieu. Elle y a présenté les premières expositions en France de Liz Magic Laser, Hélène Bertin, Florian Sumi et prochainement Núria Güell. Philosophe de formation, Céline Poulin fut notamment chargée de la programmation hors les murs du Parc Saint-Léger (Pougues-les Eaux) et a été commissaire invitée, seule ou avec le collectif Le Bureau/, à la Villa du Parc à Annemasse, au DAZ à Berlin en partenariat avec l’Institut français, à la Box, à la Synagogue de Delme, au Casino Luxembourg, à la Galerie Klemm’s à Berlin, entre autres. Elle est également membre de l’IKT et de C-E-A.

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