Prix AWARE

Laura Lamiel
Lauréate du Prix d’honneur 2022

© JC Planchet

Laura Lamiel - AWARE Artistes femmes / women artists

Laura Lamiel, « La Pensée du chat », 1999, vue d’exposition, Crestet Centre d’art, Vaison-la-Romaine, 19.09 – 28.11.1999, Photo: DR.

Laura Lamiel - AWARE Artistes femmes / women artists

Laura Lamiel, « L’Espace du dedans III », 2018, vue d’exposition, Les Yeux de W, Centre régional d’art contemporain occitanie, Sète, 16.02 – 19.05.2019, Photo: Marc Domage

À une critique d’art qui lui dit un jour que son travail était le chaînon manquant entre l’art minimal et l’arte povera, Laura Lamiel répondit par la négative. C’était à la suite de son exposition au musée de Grenoble (2001), où déjà elle commençait à intégrer des collections d’objets dans ses installations. Vingt ans plus tard, l’artiste est encore parcourue par le souvenir de cette divergence, qu’elle ne refuse plus désormais, sans y souscrire pour autant. L’évolution de son appréciation est un indice de sa propension à faire tenir ensemble les contraires et à « travailler en creux ». Aussi évoque-t-elle souvent ce que son œuvre n’est pas, cette œuvre qu’elle a construite par neutralisation, substitution, recouvrement et permutation.

Laura Lamiel - AWARE Artistes femmes / women artists

Laura Lamiel, « Le Ring », 2021, vue d’exposition, Absalon Absalon, CAPC Musée d’art contemporain, Bordeaux, 24.06.2021 – 02.01.2022, Photo: Arthur Pequin

L’unité de son travail tient également à la place qu’y occupent depuis les années 1970 la lumière, l’espace et une certaine économie de moyens. Quand elle expose à la Fundación Joan Miró à Barcelone en 1982, l’abstraction et la figuration narrative semblent avoir épuisé la peinture : elle montre à cette époque des recherches sur l’espace du tableau, où elle expérimente la neutralité des gammes de camaïeu autant que la rigueur et la répétition des formes. Avec « peu d’outils et un maximum d’expression », Laura Lamiel compose dans la peinture son langage formel.

Au début des années 1990, Laura Lamiel recentre sa pratique au sein de son atelier. Tout en continuant à travailler en deux dimensions, pratiquant entre autres le dessin et la photographie qu’elle transfère sur des plaques émaillées, elle commence à rassembler des objets. Elle les organise en collections, constituant un vocabulaire dans lequel elle opère des permutations. Ces exercices préfigurent les mises en espace de ses œuvres, au mitan des années 1990. Elle présente alors ses premières cellules, dans lesquelles elle intègre de la lumière et ces petits objets qu’elle avait appris à associer en atelier. Les cellules, tels des coins, sont composées de deux pans ; il faut attendre la fin des années 2000 pour qu’elle engage ses recherches vers la profondeur. Ses sols, et notamment ceux qu’elle découpe et évide au CRAC Occitanie à Sète, en 2019, font « reparaître les objets par le dessous, comme si celui-ci s’en nourrissait ».

Laura Lamiel - AWARE Artistes femmes / women artists

Laura Lamiel, « Du miel sur un couteau », 2021, vue d’exposition, du miel sur un couteau, Cahn Contemporary, 19.09 – 20.11.2021, Photo: Serge Hasenboehler

C’est finalement dans l’installation J’ai vu les buffles d’eau, montrée la même année au Palais de Tokyo, que Laura Lamiel estime être parvenue au « maximum des paramètres de [son] travail » : on y retrouve la singularité d’un vocabulaire de l’objet, de la lumière, du creux et des jeux d’échelles, le tout apportant à la déambulation du regard une expérience d’exploration fine. Le titre J’ai vu les buffles d’eau nous met aussi sur la piste d’une ramification nouvelle de sa pratique : dire qu’on les a vus, c’est dire qu’on pourrait un jour ne plus les voir. Contournant sans cesse la tentation de l’affirmation, Laura Lamiel soulève ainsi, par leurs périphéries, des questions confinant à l’écologie, au politique et à la poétique.

Laura Lamiel - AWARE Artistes femmes / women artists

Laura Lamiel, vue d’exposition, « la mer rouge », Marcelle Alix, Paris, 06.06 – 20.07.2019, Photo: Aurélien Mole

Parce que le concept supprime l’imprévu, Laura Lamiel s’est toujours tenue à l’écart de toute pratique conceptuelle. Dans son travail, « il y a toujours de petites fuites. Sinon, il n’y a pas d’aventure. S’il n’y a pas d’aventure, je n’ai pas la force », dit-elle. Cette force, c’est celle qu’il lui faut puiser pour les mises en tension auxquelles elle procède dans ses cellules, gardiennes du vécu absent ou du vécu absurde, comme dans Qui parle ainsi se disant moi ? (2013), exposé à La Galerie de Noisy-le-Sec, dont le titre emprunte aux Textes pour rien (1950) de Samuel Beckett. Une force qui lui est également nécessaire pour faire tenir ensemble deux pôles de son œuvre, tendue entre l’art comme cosa mentale – que l’on perçoit depuis ses peintures jusqu’à ses tôles blanches monochromes – et ce vertige du temps réellement vécu, comme le relevait Anne Tronche, rendu présent par l’insertion d’objets usagés dans ses cellules, ses sols et ses installations. Pour Ursule, pièce qu’elle réalise à l’automne 2021 devant la baie de son atelier, de petites formes anciennes de chaussures en fonte lestent un espace construit. Elles l’ancrent dans le sol et suscitent une sensation de descente, tandis que de minuscules lunettes de plastique les avoisinent avec légèreté. En déposant ces miniatures aux masses distinctes, Laura Lamiel invite le regard à des mouvements de lecture. Ce qu’elle agence, c’est la possibilité d’un passage sensible de l’extérieur vers le plus intérieur en soi, où le vertige du temps peut s’apprivoiser par la méditation.

Laura Lamiel - AWARE Artistes femmes / women artists

Laura Lamiel, Territoires intimes, 2021, exhibition view, « du miel sur un couteau », Cahn Contemporary, B‚le, 19.09 – 20.11.2021, Photo: Serge Hasenboehler

Laura Lamiel est née en 1943 à Morlaix. Elle vit et travaille à Paris. Depuis sa première exposition personnelle en 1982 à la Fundación Joan Miró à Barcelone, Laura Lamiel a montré son travail dans de nombreuses institutions internationales, notamment, au cours des deux dernières décennies, au musée de Grenoble (2001), au Museu de Arte Moderna de Rio de Janeiro (2006), à La Verrière de Bruxelles (2015), au CRAC Occitanie à Sète (2019) et, plus récemment, au Cahn Kunstraum à Bâle (2021), ainsi qu’à la Biennale de Coimbra (2022). Son œuvre figure dans plusieurs collections publiques, en France – musée national d’Art moderne – Centre Georges-Pompidou, CNAP, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Fonds municipal d’art contemporain – Paris collections, FRAC Alsace, Pays-de-la-Loire et Grand Large – Hauts-de-France – et à l’étranger – Museu de Arte Moderna de Rio de Janeiro. Laura Lamiel est représentée par la galerie Marcelle Alix à Paris.

Camille Richert est historienne de l’art. Elle est diplômée de l’École normale supérieure de Lyon en histoire contemporaine (2013) et docteure en histoire de l’art contemporain de l’Institut d’Études Politiques de Paris (2021). Ses travaux s’inscrivent dans le champ de l’histoire sociale de l’art. Elle a mené ses recherches doctorales sur les représentations du travail dans l’art contemporain depuis 1968. Chercheuse associée au CHSP et chargée d’enseignement à Sciences Po, elle a auparavant travaillé à Lafayette Anticipations (2014-2018) en tant que responsable des éditions. Elle a également été responsable du Prix Sciences Po pour l’art contemporain (2017-2020).

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