Prix AWARE

Mélanie Matranga
Nommée au Prix 2018

© Marie Lou Chabert

Mélanie Matranga

Mélanie Matranga - AWARE Artistes femmes / women artists

Mélanie Matranga, Fortune light, 2015, papier, cordes à piano, dimensions variables, Courtesy Mélanie Matranga, © Mélanie Matranga

Se retrouver en face et au sein des œuvres de Mélanie Matranga nécessite un temps d’adaptation : non pas une adaptation intellectuelle ou théorique – les formes et objets utilisés sont quotidiens, les situations évoquées sont communes –, mais bien une mise au diapason émotionnelle, sentimentale. Parcourues de fils, de flux et d’affects, ses œuvres engendrent une distance à négocier qui électrifie cet interstice entre la sphère privée et l’espace public, entre l’intimité et l’être-ensemble, entre l’introspection et la mise en scène de soi. Bref, Mélanie Matranga propose des « endroits où être seul·e avec les autres ». Pour Incorporated!, la cinquième édition des Ateliers de Rennes – biennale d’art contemporain (2016), elle choisit d’investir un espace de circulation, situé au sous-sol du FRAC Bretagne, et y installe son film You (2016). Film érotique « où l’amour devient un système de communication, où la succession des partenaires permet de créer un “Nous” grâce à une superposition de “Tu”, sans fusion, avec amour », You se regarde depuis une chambre reconstituée – une chambre d’échos – où le·la spectateur·rice, s’il·elle s’allonge, se rend visible à tou·te·s, offrant ainsi le spectacle de son immersion dans la vie des autres, filmée celle-ci. Si un tel dispositif peut se révéler fastidieux à décrire, l’expérimenter est en revanche d’une grande normalité – et la cause d’une certaine gêne – à l’heure de la supposée transparence des émotions et du partage des enthousiasmes.

Mélanie Matranga - AWARE Artistes femmes / women artists

Mélanie Matranga, Need want you me, 2016, encre sur papier, 85 x 65 cm, Courtesy Mélanie Matranga, © Mélanie Matranga

C’est ce qui m’intéresse le plus dans l’œuvre de Mélanie Matranga, cette capacité à refléter l’état actuel de nos sensations, de nos ajustements permanents avec le réel et le virtuel, sans pour autant céder aux sirènes de la surproduction technologique ou de l’élaboration théorique à tiroirs. Dire la complexité de nos esprits d’une manière immédiate et sensible. Créer des espaces de vie qui soient également des espaces de pensée, où les corps communiquent autant que les mots – souvent avec la même difficulté. Un simple geste, répété à plusieurs reprises, me semble emblématique : prendre possession de l’espace d’exposition par le simple déploiement de câbles électriques insérés sous une moquette, modifiant notre perception, nos déplacements, faisant surgir sous nos pieds tous ces fluides cachés mais si présents, mentalement, dans nos existences. Dans ses installations – qui tiennent autant des chambres conçues par Dominique Gonzalez-Foerster dans les années 1990 que de décors de cinéma à la Jean Eustache –, la fiction se fait hésitante, multiple, ouverte. À nous, spectateur·rice, d’y trouver notre place, de nous y inclure et d’entrer en relation avec l’émotion de l’artiste, celles de ses œuvres et celles des tiers. Avec nos souvenirs et nos désirs, avec les fantasmes de nos nuits blanches. Corps et objets y sont d’égale importance. Devenus œuvres – soit par transfert, moulage ou ready-made –, ces derniers demeurent opérants. Les lampes, de toutes échelles, continuent d’irradier. Les vêtements de papier se recouvrent de sueur, témoins de nos humeurs. Climatique, l’œuvre de Mélanie Matranga fixe nos émotions avec souplesse – c’est ce qui la rend si dynamique.

 

Mélanie Matranga (1985, France) est diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2011. Lauréate du Frieze Artist Award et nommée au prix de la Fondation d’entreprise Ricard en 2014, elle a bénéficié de plusieurs expositions personnelles et collectives en France, notamment au palais de Tokyo en 2015, et à l’étranger, au Tongewölbe T25 (Ingolstadt), à l’Indipendenza (Rome), à l’Artists Space (New York) et au Museum Ludwig (Cologne). En 2016, elle a également participé à la cinquième édition des Ateliers de Rennes – biennale d’art contemporain. Elle est représentée par Karma International, galerie d’art de Zurich, où ses œuvres ont été exposées en 2015.

Rapporteur : Clément Dirié, historien et critique d’art, commissaire d’expositions, directeur éditorial de JRP|Ringier

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