Prix AWARE

Tania Mouraud
Nommée au Prix d’honneur 2018

© Photo : Christian Legay

1968 : Tania Mouraud brûle ses toiles en public, dans la cour de l’hôpital de Villejuif, inaugurant ainsi une quête d’émancipation artistique, technique et intellectuelle qu’elle n’a cessé d’éprouver, de la conception de ses espaces d’initiation et de méditation jusqu’à ses pièces les plus actuelles. Une constante demeure toutefois dans ses travaux qui n’ont de cesse d’interroger les paradoxes primordiaux à l’œuvre dans l’existence : l’ordre et le chaos, la plénitude et la fureur, la sérénité et la terreur, la création et la disparition.

Tania Mouraud - AWARE Artistes femmes / women artists

Tania Mouraud, MDQRPV?, 2015, acrylique sur mur, 300 × 1942,6 cm, vue d’exposition, Centre Pompidou-Metz, 2015, collection de l’artiste, Courtesy Tania Mouraud, © Tania Mouraud, © ADAGP, Paris

À partir de 1969, elle inaugure un cycle autour des chambres de méditation et espaces d’initiation : treize environnements pensés, dont six seront réalisés. Cette aspiration à un art de l’environnement, alors relativement inédite sur la scène européenne, manifeste une réflexion d’ordre philosophique sur l’identité et le rapport au monde, la quête d’« Un supplément d’espace pour un supplément d’âme1. » Un travail sur le son accompagne certaines des chambres et donne lieu à des créations ou collaborations avec des compositeurs contemporains.

À partir de 1972, elle poursuit ses recherches sur « l’acte de voir » en déployant des mots sur de la bâche de chantier. Ce parti pris économique et « antiesthétique » lui permet de travailler à une échelle monumentale, renouant avec la notion d’environnement. City Performance #1 (1977-1978), considéré comme une œuvre anthologique de la fin des années 1970, expérimente cette recherche à l’échelle de la ville avec « NI » reproduit sur 54 panneaux d’affichage de 4 ´ 3 mètres dans l’Est parisien. Cette recherche se prolonge à partir de 1988, avec les Words, les Black Power, les Black Continent puis les Wall Paintings. Tania Mouraud renoue avec la peinture pour explorer le potentiel plastique des lettres et du langage par l’inversion du processus habituel de lecture (positif-négatif), puis par l’étirement des mots sur toute la hauteur des murs, les rendant ainsi presque illisibles.

Tania Mouraud - AWARE Artistes femmes / women artists

Tania Mouraud, Ad Nauseam, 2012-14, vidéos HD 1920, 3 installations vidéo, 29 haut-parleurs, programme diffusion son aléatoire © Ircam, caméra, montage et production vidéo © Tania Mouraud, composition sonore © Tania Mouraud, programme sonore © Ircam, Courtesy Tania Mouraud, © Photo : Tania Mouraud, © ADAGP, Paris

Au tournant des années 2000, le recours à la vidéo permet à Tania Mouraud d’investir l’histoire et ses silences, l’atrocité de toute forme d’aliénation ou de destruction. Elle n’ajoute pas de représentation du désastre au flot d’images terribles auxquelles nous sommes exposé·e·s et dont la surabondance a réduit notre capacité à réagir. Elle privilégie au contraire la puissance d’évocation, la dimension physique de ses environnements vidéo et du son qu’elle compose, leur capacité à générer une forme de sidération. La question de la disparition mécanique et organisée du vivant est prégnante et l’on pourrait en retracer le cheminement, de Sightseeing (2002) et son évocation de la Shoah à Once upon a Time (2011-2012) et ses puissantes images de machines d’abattage dans les forêts canadienne et française, en passant par La Fabrique (2006) et l’aliénation des corps au travail.
Dès l’aube de sa carrière, Tania Mouraud a choisi sa voix-e : « Il faut être soldat2 », conquérir son droit à être artiste sans restriction ni détermination d’aucune sorte. Son féminisme est en actes : sortir de la sphère de l’intime, s’emparer du symbolique, à commencer par le premier outil de pouvoir, le langage. Tania Mouraud, poursuit, depuis, une insurrection permanente face à la domination, qui s’acte mais ne se déclame pas : elle travaille à l’échelle d’environnements, investit l’espace public, questionne et déconstruit les régimes d’autorité et l’histoire.

 

Tania Mouraud (1942, France), artiste inclassable de la scène artistique française, ne cesse de réinventer sa pratique depuis la fin des années 1960 par l’intermédiaire de médiums variés. Son parcours artistique est ponctué de nombreuses expositions, personnelles et collectives, en France, notamment au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (2014), au MAC VAL à Vitry-sur-Seine (2014), au musée des Beaux-Arts de Nantes (2009), au musée de la Chasse et de la Nature (2008), ainsi qu’à l’étranger, à la Slought Foundation (Philadelphie), au California State University, Fullerton Grand Central Art Center (Los Angeles). En 2015, le Centre Pompidou-Metz lui a consacré sa première grande rétrospective.

1
Restany Pierre, Mouraud, cat. expo. One More Night, galerie Rive droite, Paris, 1970, Paris, Rive droite, 1970.

2
Entretien avec l’artiste, novembre 2014.

Rapporteuse : Hélène Guenin, directrice du MAMAC de Nice

Archives
of Women Artists
Research
& Exhibitions

Villa Vassilieff - 21, avenue du Maine 75015 Paris (France) — info[at]aware-art[.]org — +33 (0)1 55 26 90 29