Prix AWARE

Tiphaine Calmettes
Lauréate du Prix 2020

© Photo : Rebekka Deubner

La matière traduit une expérience physique et mentale. L’architecture moderne et vernaculaire, le béton, la terre crue, le rapport au graphique, l’espace, les lignes étendues et d’autres volumes sont là. La mélancolie convoque et cristallise les paysages et les ruines, comme le fait une image. Le temps est celui de l’immédiateté des territoires. Dans l’esprit de Tiphaine Calmettes, les maisons de terre relient fragments, impacts et violences.

Tiphaine Calmettes - AWARE Artistes femmes / women artists

Tiphaine Calmettes, Un sentiment de nature, 2019, béton, terre crue, Courtesy Tiphaine Calmpettes, © Photo : Tiphaine Calmettes

Ses premiers travaux questionnent la lumière, l’espace mental, l’orthonormé, la déconstruction, l’ambivalence du temps, à l’instar d’un mur en bas relief en béton, Sans titre, en 2013. Elle conçoit alors les lieux dans leur représentation et leur dimension. L’atmosphère semble suspendue à des espaces-temps parallèles.

Le processus de création est un objet de conversation avec l’histoire des savoir-faire et de leur réactivation dans le contexte présent. L’acte et le mouvement du corps s’associent à une chorégraphie de gestes spéculatifs, qui interrogent mémoires et pensées, et surprennent l’issue de l’œuvre. La chaleur du foyer fait partie des éléments fédérateurs – le corporel revient toujours –, ce qui crépite dans une céramique nous rassemble.

Les techniques non formelles, réversibles, éphémères installent l’animation de formes de vie à travers des actions performatives. L’artiste explore et (ré)invente de nouveaux formats en recourant à des procédés anciens, à des récits déjà oubliés. En revisitant la manière de faire, elle s’inscrit dans de nouvelles fictions.

Les aires de jeu japonaises resurgissent comme motif récurrent, marqueur de ses réflexions et transmissions. Leur usage et leurs propriétés sont en rapport avec la géométrie sacrée, symbole des sources énergétiques de l’Univers. Le design d’espace, l’atmosphère et le soin apporté au lieu impliquent des connaissances en géobiologie, en géologie et en géodésie – l’étude de la Terre.

Les recherches métaphysiques de Tiphaine Calmettes documentent autant de narrations spéculatives, en particulier notre relation à l’environnement. Sa pratique se caractérise par des hypothèses spatiales qui s’inscrivent dans une expérience du sensible.

Tiphaine Calmettes - AWARE Artistes femmes / women artists

Tiphaine Calmettes, Lecture gustative, 2017. Dans le cadre de l’exposition Les mains baladeuses à la galerie Arnaud Deschin (2017), Courtesy Tiphaine Calmettes, © Photo : Côme Calmettes

Les lectures gustatives sur l’alimentation prennent corps lors d’interventions publiques. Le partage éphémère de repas promet des gestes hors norme et des mets délicats. Déguster devient une dynamique de sens où nous ingérons quelques copeaux de chocolat grattés sur une table ou une betterave en croûte. Nous sommes à la fois dans l’insuffisance de goût et dans son abondance. Créé en collaboration avec Céline Pelcé au Paris Art Lab en juin 2019, En grattant la terre j’ai trouvé mon empreinte nous interroge sur nos modes de consommation.

Les œuvres de Tiphaine Calmettes s’inscrivent dans une profonde conviction politique pour agir en commun et revisiter le partage sous la forme de l’hospitalité. La commensalité, à travers les saveurs et les rencontres, rappelle que nous ne sommes pas seul·e·s, sans hiérarchie ni protocole.

Tiphaine Calmettes - AWARE Artistes femmes / women artists

Tiphaine Calmettes, La terre embrasse le sol, 2019, terre crue, dans le cadre du chantier-école à l’ENS Lyon (2019, Courtesy Tiphaine Calmettes, © Photo : Tiphaine Calmettes

Ainsi, elle sonde la notion de structure, de l’âme du lieu, habité d’un fétiche, et traduit une pensée, l’invention formelle, sa plasticité. Dans le jardin du paysagiste et écrivain Gilles Clément, elle conçoit une agora en terre crue, munie d’un four à céramique et où des chercheur·e·s partagent leurs connaissances.

De septembre à octobre 2019, au sein d’un chantier-école1, l’artiste réalise La terre embrasse le sol ; nous, nous habitons cette œuvre.

En présentant une vision utopique, Tiphaine Calmettes tente de développer un processus de recherche à une plus grande échelle et de redéfinir nos modes de socialisation dans les espaces communs.

Élise Atangana

Tiphaine Calmettes (Ivry-sur-Seine, 1988) vit et travaille à Paris. Évolutives, ses sculptures et ses installations créent de nouveaux modes de coexistence entre des éléments a priori distincts. Incluant du béton, de la terre, de la mousse et du lichen, mais aussi des empreintes de plantes, d’animaux et de parties de corps, ses œuvres activent les récits qui informent notre rapport au monde. Elles ont été montrées notamment à La Panacée MOCO (Montpellier), à la Zoo galerie (Nantes), au CAC La Traverse (Alfortville), au Kunstwerk Carlshütte (Büdelsdorf, Allemagne), à l’École normale supérieure de Lyon, avec la Biennale de Lyon 2019. En 2020, elle expose au Centre Céramique contemporaine La Borne (Henrichemont), au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière (Beaumont-du-Lac) ; elle est également en résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers.

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Lors de ce chantier, des volontaires s’initient aux gestes de la fabrication du torchis, encadré·e·s par Samuel Dugelay, maçon, formateur spécialisé dans la construction en terre crue.

Rapporteuse : Élise Atangana situe son travail entre commissariat et production d’expositions. Établie à Paris, elle s’intéresse à la façon dont les mobilités comprenant les mouvements de personnes, des idées, des objets et des services nous affectent dans notre quotidien, et travaille également sur leur lien avec l’art contemporain. Ses projets curatoriaux récents incluent Bawwaba, une nouvelle section transversale du Sud global à l’Art Dubai 2019 ; Power from Within, à La Galerie (Noisy-le-Sec, 2018) ; Seven Hills, 2nd Kampala Art Biennale 2016 (Ouganda) ; Entry Prohibited to Foreigners, au centre d’art Havremagasinet (Boden, Suède, 2015) ; Produire le commun, exposition internationale de la XIe Biennale de Dakar (Sénégal, 2014), ainsi que les Rencontres Picha – Biennale de Lubumbashi (République démocratique du Congo, 2013).

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