Prix AWARE

Violaine Lochu
Lauréate du Prix 2018

Violaine Lochu, Abécédaire Vocal, 2016, performance, 45’, Courtesy Violaine Lochu, © Photo : Konstantin Lunarine, © ADAGP, Paris

Babylone song à l’ère de la post-vérité : Violaine Lochu

Dans un entretien avec Thomas Baumgartner1, Violaine Lochu confie qu’elle aime le chuchotement parce qu’il ne présente pas de vibration puissante des cordes vocales. Il n’aurait pas de dramaturgie de la voix. Une tessiture de la voix qu’affectionne l’artiste car elle apporte une certaine « forme au contenu2 ». Une ascèse de l’écoute qui permet d’entendre, puis de maintenir une capacité à s’émerveiller. Cette capacité, Violaine Lochu la cultive en chantant dans plusieurs langues étrangères (italien, roumain, bulgare, yiddish, hébreu…). Elle les parle sans parfois les comprendre ; c’est leur musicalité qui l’attire.

Violaine Lochu - AWARE Artistes femmes / women artists

Violaine Lochu, Superformer(s) #3, 2017, performance, 40’, Courtesy Violaine Lochu, © Photo : Mathilde Geldhof, © ADAGP, Paris

Chuchotements, musicalité de la langue et aussi bruits chantés se retrouvent dans Vestiges de Roncevaux (2013), une réinterprétation de La Chanson de Roland, patrimoine de la culture française. Elle a voulu, dit-elle, « donner à réentendre cette chanson de geste en lui donnant un nouveau relief, en réactiver la splendeur passée3 ». Pour ce faire, elle a cherché à « appliquer au texte des phénomènes liés habituellement à la géologie […] en s’inspirant » d’un point de vue archéologique qui relate avec précision « la formation d’une ruine4 ». C’est encore la dimension du patrimoine vivant qui la conduit à apprendre par cœur plus de 200 souvenirs transmis à l’oral par des Montreuillois (chant, poésie, prière, etc.) en recourant à l’ars memoriae. Ce dernier, explique Violaine Lochu, est « un moyen mnémotechnique, pratiqué depuis l’Antiquité, qui consiste à apprendre un discours en prenant appui sur des lieux connus, dans lesquels on vient spatialiser son souvenir5. » Mémoire Palace (2015), ode à la fois gigantesque et fugace, participe à la fabrique historiographique du hic et nunc.

Violaine Lochu - AWARE Artistes femmes / women artists

Violaine Lochu, Animal Mimesis, 2015, journal réalisé avec Christophe Hamery, 29,7 x 42 cm, Courtesy Violaine Lochu, © ADAGP, Paris

Mais que l’on ne s’y trompe pas, la douceur des chuchotements n’annihile pas une esthétique de la confrontation. Ce qui est dit et montré dans les performances de Violaine Lochu inaugure, en ces temps d’incertitude, une lecture favorable au changement. Ainsi, dans Superformeur(s) #2 (2017), Violaine Lochu a œuvré à catalyser une économie du don, contre-don (Marcel Mauss). Les superformeur·euse·s de la Maison des solidarités de Noisy-le-Sec ont ceci en commun qu’ils sont des agissants, parfois en désaccord, réunis cependant par une forme d’endurance. Chacun a œuvré à une éthique de la ténacité indispensable pour fabriquer cet étrange écart au cœur de l’institution sociale. Cette exigence pose en retour à Violaine Lochu une question : comment une performeuse peut devenir à son tour superformeuse ? Comment tendre vers soi-même le micro avec Superformeur(s) #3 (2017) ? Bien sûr, il y a les romans faussement initiatiques d’Annie Ernaux, de Didier Eribon (qui rejoignent la grande tradition des sciences sociales de Michel Foucault à Pierre Bourdieu) et peuplent l’imaginaire sémantique de Violaine Lochu. Et puis, il y a cette grâce du déplacement, ce que l’artiste nomme « adaptation – polymorphie – transfuge – strates des habitus – métamorphose6 ». Cela consiste en un délaissement de la métaphore usée des masques sociaux au profit d’une mue qui qualifie un microcosme silencieux déployé à nos pieds : le polyphénisme des insectes sociaux. La superformance de l’artiste serait à l’image des insectes sociaux, par exemple les termites, qui à côté des adultes reproducteur·rice·s, femme (reine) et mâle (roi), présentent également des soldat·e·s et/ou des ouvrier·ère·s, eux·elles-mêmes parfois sous plusieurs formes différentes, et qui, après disparition des adultes fondateur·rice·s, peuvent également engendrer des adultes de remplacement.

 

Diplômée de l’École nationale supérieure d’art de Paris-Cergy (ENSAPC), Violaine Lochu (1987, France) expose et performe en France et à l’étranger (MAC VAL à Vitry-sur-Seine, palais de Tokyo, FIAC, Maison de la poésie de Paris, Salon de Montrouge, Salon de la jeune création, Bétonsalon, Espace Khiasma aux Lilas, galerie du Jour Agnès B., Justina M. Barnicke Gallery à Toronto, North End Studios à Detroit…). La Synagogue de Delme, La Galerie (Noisy-le-Sec), La Box (Bourges), Le 116 (Montreuil), Le Générateur (Gentilly), le Ricklundgården Museum (Marsfjäll, Suède), notamment, l’ont accueillie dernièrement en résidence. Grâce au soutien du CNAP, elle mène actuellement une recherche en Laponie.

1
Baumgartner Thomas, « Rendre compte des oiseaux : la performeuse Violaine Lochu + le bioacousticien Bernie Krause », émission SuperSonic, France Culture, 3 septembre 2016.

2
Entretien téléphonique avec l’artiste, 20 mars 2017.

3
Entretien avec Alix Rampazzo à l’occasion du Salon de Montrouge 2016, publié dans la revue Inferno, en ligne, URL : http://www.violainelochu.fr/?page_id=1008.

4
Ibidem.

5
Ibidem.

6
Entretien téléphonique avec l’artiste, 20 mars 2017.

Rapporteuse : Géraldine Gourbe, philosophe, chercheure associée à l’École nationale supérieure d’art de Dijon et commissaire d’expositions

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