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Germaine Richier et la performance de la subjectivité et de l’autonomie féminines

19.01.2019 |

Germaine Richier, L’Araignée I, 1946, bronze patiné, socle en corne, 30 x 46 x 23 cm, © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole, © Photo : Frédéric Jaulmes, © ADAGP, Paris

La sculptrice française Germaine Richier (1902-1959) est la première femme à avoir bénéficié d’une rétrospective personnelle au musée national d’Art moderne de Paris en 1956, ainsi que l’une des rares artistes femmes à avoir rencontré un succès international dans les années 1940 et 1950.

L’essentiel de la recherche consacrée à sa carrière et à ses sculptures hybrides ces trente dernières années est axée sur les aspects historiques et biographiques ou sur l’analyse formelle. On trouve très peu d’études centrées sur l’analyse de ses sculptures à travers le prisme du féminisme et des études de genre. L’œuvre n’est souvent perçue que comme une réaction de l’artiste à la période de l’entre-deux-guerres. Le présent mémoire propose une relecture féministe de l’œuvre de G. Richier afin de la replacer dans le contexte patriarcal des années 1940 et 1950, tout en prenant en compte le fait que l’artiste n’ait pas directement souscrit à ce parti-pris féministe. Notre objectif est de développer les récentes recherches féministes sur G. Richier afin de mieux comprendre les liens réciproques entre l’artiste et son œuvre.

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Germaine Richier, La Mante, grande, 1946-1951, bronze, 168 x 72 x 72 cm, musée-collection Berardo, © ADAGP, Paris

Avec La Sauterelle (1944), L’Araignée I (1946), La Mante (1946) et La Fourmi (1953), G. Richier interroge les principes narratifs dominants dans l’entre-deux-guerres en remettant en question les représentations du genre, du corps et de la subjectivité féminines de son époque. Ce mémoire analyse la façon unique dont l’artiste a exploré les notions de métamorphose et d’hybridité en mettant au défi le travail des avant-gardes, principalement masculines, par la création d’un modèle de féminité qui relève davantage de la performativité que d’un état fixe. Nous examinerons également comment les sculptures de G. Richier, ainsi que ses propres déclarations au sujet de son œuvre et de son statut d’artiste, ont pu influencer l’accueil de son travail et de sa personnalité dans le contexte masculiniste de l’époque.

Les hybrides féminins de G. Richier sont des constructions explicites présentées en pleine performance de leurs subjectivités, proposant ainsi une image du genre féminin dans tout ce qu’il a de complexe, d’ambigu et de changeant. Ils associent mouvement et retenue, force et vulnérabilité. Loin d’être les produits d’un regard masculin érotisant, ses « femmes-insectes » sont des créatures difformes et macabres dotées de corps qui persévèrent malgré ce qu’ils ont vécu et subi. Ce sont des sujets actifs en mouvement constant, dont les corps et les identités sont soumis à une métamorphose incessante et qui transgressent une réalité pourtant étrangement familière. En se concentrant sur l’expérience subjective et l’autonomie de l’individu, G. Richier nous offre une représentation subversive et féministe étonnamment proche des théories du genre actuelles.

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Germaine Richier, La Fourmi, 1953, bronze, 99 x 85 x 64 cm, collection particulière, © ADAGP, Paris

Bien que G. Richier n’ait jamais directement souscrit à cette dimension féministe, elle remet cependant en question le concept genré de l’artiste en introduisant dans son œuvre et son discours l’idée d’une artiste femme « masculine », tout en semblant dans le même temps n’accorder aucune importance au genre. À travers son utilisation des deux langages, elle s’affranchit entièrement de la binarité femme/homme et de son équivalent artistique et propose plutôt de se définir de façon autonome, en tant qu’artiste. Dans la période d’après-guerre, ces transgressions reçoivent un accueil aussi ambigu que ses œuvres, que la critique juge favorablement tout en tendant à la masculiniser (pratique qu’encourage l’artiste). Ainsi, ambiguïté de ses hybrides et de son discours influence et reflète la manière dont elle était perçue en tant que femme et sculptrice.

Ce mémoire démontre la nécessité d’une nouvelle lecture de G. Richier et de ses œuvres hybrides. Ses créatures féminines n’existent pas seulement en réaction au contexte socio-culturel (en l’occurrence, celui du traumatisme de l’après-guerre et de la société masculiniste) ; elles proposent également une nouvelle conception de notre manière de ressentir. Dès les années 1940, l’artiste explore un genre de subjectivité fluide que la pensée postmoderniste ne théoriserait que bien des décennies plus tard. En brouillant des frontières considérées comme fondamentales et en ébranlant les catégories « femme » et « artiste », elle propose de nouvelles façons d’être et de percevoir. À travers ses hybrides, G. Richier nous offre la puissante expression d’une autonomie et d’une subjectivité féminines.

 

Mémoire de recherche de master en histoire de l’art, dirigé par Peter Muir et soutenu par Marine Picard, le 25 septembre 2017 à l’Open University (Milton Keynes, Royaume-Uni).

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Pour citer cet article :
Marine Picard, « Germaine Richier et la performance de la subjectivité et de l’autonomie féminines » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 19 janvier 2019, consulté le 20 avril 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/germaine-richier-et-la-performance-de-la-subjectivite-et-de-lautonomie-feminines/.

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