Critique

Hemali Bhuta, ou l’exposition comme paysage à ciel ouvert

30.01.2018 |

Hemali Bhuta, Encounters with Gold, 2017, tapis en caoutchouc, imitation de feuille d’or, poussière de gneiss, carottage de quartz, laque incolore et gomme arabique, 80,5 cm x 60 cm, Courtesy de l’artiste et Project 88, Mumbai, © Photo : Aurélien Mole / CIAP de Vassivière

Née en 1978 à Mumbai où elle vit et travaille1, l’artiste indienne Hemali Bhuta présente au Centre international d’art et du paysage de Vassivière (Limousin) sa première exposition personnelle en Europe2 : Subarnarekha (La ligne d’or).

Hemali Bhuta, ou l’exposition comme paysage à ciel ouvert - AWARE Artistes femmes / women artists

Hemali Bhuta, Cut Piece Corner, 2017, papier fait main de 70 gr/mÇ en coton, chanvre et lin, fil d’or zari, feuille d’or jaune 22 carats, ruban doré, ruban de papier, curcuma frais en poudre, 360 cm x 44 cm non plié, production Centre international d’art et du paysage de Vassivière, 2017, Courtesy de l’artiste et Project 88, Mumbai, © Photo : Aurélien Mole / CIAP de Vassivière

Hemali Bhuta, From the Pile, 2017, deux planches de découpe, poussières de granit, curcuma, fil d’or zari, 206 x 244 cm, production Centre international d’art et du paysage de Vassivière avec la participation de la Marbrerie Bonnichon, Courtesy de l’artiste et Project 88, Mumbai, © Photo : Aurélien Mole / CIAP de Vassivière.

Le titre double renvoie à une dualité et à une jonction de paysages et de géologies, entre le nord-est de l’Inde où coule vers le golfe du Bengale la rivière Subarnarekha3, qui fut une zone d’exploitation aurifère, et cette région limousine, elle aussi connue pour son activité d’extraction d’or et où ont été créés artificiellement l’île et le lac de Vassivière. Corps minéraux et corps aqueux se relient ainsi dans les nouvelles œuvres de H. Bhuta. Les installations minimales et les sculptures modestes exposées, faites d’éléments repris, récupérés, recueillis, réemployés, remodelés, déplacés, métamorphosés, puis associés ou accolés ou superposés, ponctuent, du Phare au Petit Théâtre, un parcours de stases, de renvois et de citations, à l’intérieur du corps monumental du bâtiment à l’architecture postmoderne d’Aldo Rossi et Xavier Fabre. Les sculptures, étalées au sol (Encounters with Gold, 2017 ; From the Pile, 2017), accrochées aux murs avec un effet de flottement (Cut Piece Corner, 2017), fragmentées en une composition visuelle quasi picturale, ou ramassées en une forme miniature sous vitrine muséale (Maquette for « The Fold »Maquette for « 80 Cuts », 2017), se confrontent spatialement, entrent en dialogue ou en disjonction les unes envers les autres, sont parfois la mémoire de l’une à l’égard d’une autre.

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Hemali Bhuta, Maquette for The Fold (détail), 2017, or 18 carats, 4 x 6,25 cm, production Centre international d’art et du paysage de Vassivière avec la participation de la bijouterie Verlinden, 2017, Courtesy de l’artiste et Project 88, Mumbai, © Photo : Aurélien Mole / CIAP de Vassivière

Ces œuvres de H. Bhuta, spécifiques au lieu limousin, à ses lignes paysagères et écologiques, à ses activités humaines ou industrielles (la fabrication du papier, la joaillerie), et à son sous-sol mis à nu (l’extraction aurifère, les carrières de pierre de gneiss), ont été conçues lors d’une courte résidence de l’artiste, à l’automne dernier, sur l’île de Vassivière. Elles portent traces et formes d’une histoire tout aussi biographique qu’anthropologique et géologique, témoignent d’une nostalgie symbolique et cérémoniale, d’une rencontre et d’un contact. H. Bhuta creuse et rend au visible un paysage et un récit souterrain qu’elle joint à une autre histoire, à d’autres géologies et archéologies, à d’autres rituels et pratiques quotidiennes. Celles et ceux de son pays natal, de vie, de travail, et dont elle laissait déjà voir, dans ses expositions précédentes (The Hangover of Agarlum, 2010 ; Point-Shift and Quoted Objects, 2012-2013 ; Measure of a Foot, 2016), organisées au centre Project 88 (Mumbai), les matériaux ordinaires, usagés, utilisés dans chaque geste de la vie commune et traditionnelle indienne. Des formes, des résidus, des matières détournées que l’artiste ouvre à la chair du regard du spectateur et de la spectatrice, substances modestes, parfois éphémères (le savon, la cire d’abeille, la poussière de pierre, le graphite, l’alun, le papier), ou venant subvertir toute notion imposante de forme, ou dont la valeur symbolique (l’or) est aliénée et inversée par la sculpture à la taille d’une miniature.

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Hemali Bhuta, Subarnarekha (La ligne d’or), vues de l’exposition, Centre international d’art et du paysage de Vassivière, 2017, Courtesy de l’artiste et Project 88, Mumbai, © Photo : Aurélien Mole / CIAP de Vassivière

De Mumbai à Vassivière, H. Bhuta place cette ligne d’or dans un rapport de dualité et de reconnaissance, elle qui entretient avec la matérialité des paysages et le temps de la vie quotidienne une relation physique, charnelle, profondément tactile et spirituelle, elle pour qui l’œuvre est une géologie et un geste de creusement, de mesure et de métamorphose. H. Bhuta extrait, dissèque, recouvre, martèle, couche, frotte, plie et replie, jusqu’à atteindre la poussière des choses, jusqu’à leur état de déchet, d’infime. Comme à ciel ouvert, l’exposition de Vassivière retisse des dualités, des archéologies et des couches toujours plus souterraines et intimes, dont le récit devient nudité réflexive de l’œuvre.

 

Hemali Bhuta, Subarnarekha (La ligne d’or), du 3 décembre 2017 au 11 mars 2018, au Centre international d’art et du paysage de Vassivière (Beaumont-du-Lac, France).

1
Hemali Bhuta est cofondatrice avec Shreyas Karle de la CONA Foundation, dont elle est également la directrice. La CONA Foundation est une structure d’art située dans le nord de Mumbai. Elle accueille des résidences d’artistes, organise des débats, des projections et des conférences, et a un important travail de publication.

2
Hemali Bhuta a participé à des expositions collectives aux États-Unis et en Europe, notamment Indian Highway IV (2011), au musée d’Art contemporain de Lyon, et Indian Highway V (2011-2012), au MAXXI – Museo Nazionale delle Arti del XXI Secolo, à Rome. En 2010, elle a participé au programme d’échange de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

3
Dans le titre de son exposition, Hemali Bhuta fait aussi référence au film du réalisateur bengali Ritwik Ghatak La Rivière Subarnarekha (tourné en 1962 et sorti en 1965), qui raconte la vie des réfugiés du Bengale oriental après la partition de l’Inde en 1947.

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Pour citer cet article :
Marjorie Micucci, « Hemali Bhuta, ou l’exposition comme paysage à ciel ouvert » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 30 janvier 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/hemali-bhuta-lexposition-paysage-a-ciel-ouvert/.

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