Critique

Maria Lassnig, épiphanie de la perception

01.08.2018 |

Maria Lassnig, Double autoportrait sans pitié, 1999, crayon at acrylique, 42,9 x 60,9 cm, © Maria Lassnig Stiftung

Quatre ans après le décès de Maria Lassnig (1919-2014), le Kunstmuseum de Bâle expose, en collaboration avec l’Albertina de Vienne, les œuvres graphiques de cette artiste qui a placé le corps féminin au centre de ses expérimentations.

En France le terme d’art corporel, comme sa pratique essentiellement performative, ne s’impose qu’en 1971 sous la plume de François Pluchart. Cependant M. Lassnig place ce corps, dès les années 1940, au cœur de ses réflexions. Il serait réducteur de considérer ces dernières comme essentiellement formelles : en effet, ses dessins interrogent, dans une incessante oscillation, la perception de la représentation et la construction de l’identité.

Maria Lassnig, épiphanie de la perception - AWARE Artistes femmes / women artists

Maria Lassnig, Ohne Titel (Selbstportrait) [Sans Titre (Autoportrait)], 1942, aquarelle, 48,5 x 31,9 cm, © Maria Lassnig Stiftung

La sélection de près de 100 travaux sur papier, réalisés pour l’essentiel au crayon et à l’aquarelle – mais également au feutre, à l’encre, au pastel et au fusain – ainsi que la diffusion d’une vidéo d’animation, permettent de mesurer la diversité de la création de l’artiste, tout en discernant l’absolue cohérence de sa production. L’accrochage chronologique s’ouvre avec un autoportrait sans titre, daté de 1942, qui semble programmatique. Quoique figuratif, il relève d’une grande liberté. En effet, dans cette œuvre volontairement inachevée, l’artiste autrichienne, formée dans le cadre d’une culture nazie tentant d’exclure les avant-gardes du fil historiographique, se souvient résolument des fauves et des expressionnistes. Elle parvient à synthétiser la mémoire du réalisme et une radicale volonté d’introspection.

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Maria Lassnig, Phallusselbstportrait [Autoportrait Phallus], 1958, craie, 44 x 60 cm, © Maria Lassnig Stiftung

La liberté de M. Lassnig s’affirme par la suite à Paris, sous le regard des peintres informels et tachistes la conduisant à s’intéresser l’abstraction. Cependant, ses titres tels que Static Meditation (1951-1952), Phallusselbstportrait [Autoportrait. Phallus I] (1958) ou encore Zwei nebeneinander [Deux à côté l’un de l’autre] (1961), attestent avec distance et humour le lien indéfectible à des états de réalité. À partir de 1968, les recherches de l’artiste s’expriment, à New York, au travers d’une hybridation avec la technologie visible dans le médium utilisé (elle débute l’animation et devient membre du groupe Women/Artists/Filmmakers, Inc.) ainsi que dans les sujets traités (Fernseh-Sex [Television Sexe], 1970). Elle poursuit ses investigations entre New York et Berlin ou Vienne, sans renoncer à l’auscultation de ce corps ambigu, aussi intime que social, objectif que subjectif, réel qu’imaginaire, limité qu’infini, morcelé qu’aspirant à l’unité… La couleur se fait plus franche à partir de la fin des années 1990. Au sein de vifs monochromes (jaunes, verts, violets) se détachent inlassablement des visages stupéfaits et les chairs mises à nu.

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Maria Lassnig, Ohne Titel (Schreiende) [Sans titre (Crier)], 1981, crayon et aquarelle, 62,7 x 43,8 cm, © Maria Lassnig Stiftung

L’ensemble du parcours d’exposition permet de saisir la richesse de ce que l’artiste appelle les « sensations du corps » ou la « prise de conscience du corps1 ». Selon le principe de l’anamorphose, le ressenti charnel est traduit sous une forme plastique déformée afin de mieux refléter les émotions qu’il procure en fonction du contexte et du temps dans l’esprit des regardeurs et regardeuses. Cette exposition et celles, presque concomitantes, de ses œuvres vidéo à la Národní galerie de Prague et au MoMA PS1 à New York, ainsi que de ses peintures au Kunstmuseum de Saint-Gall, en Suisse, témoignent de l’urgence  de réévaluer l’œuvre de M. Lassnig, essentielle au cours de la seconde moitié du xxe siècle.

 

Maria Lassnig. Dialogues, du 12 mai au 26 août 2018, au Kunstmuseum (Bâle, Suisse).

Et aussi :

Maria Lassnig. New York Films, 1970-1980, du 1er février au 18 juin 2018, au MoMA PS1 (New York, États-Unis).

My Animation Is an Artform, du 16 février au 9 septembre 2018, à la Národní galerie (Prague, République tchèque).

Maria Lassnig. Re-lations, du 5 mai au 23 septembre 2018, Kunstmuseum (Saint-Gall, Suisse).

1
Body awareness en anglais.

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Pour citer cet article :
Hélène Gheysens, « Maria Lassnig, épiphanie de la perception » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 1 août 2018, consulté le 23 avril 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/maria-lassnig-epiphanie-de-la-perception/.

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