Critique

Otobong Nkanga, constellations mémorielles

15.07.2018 |

Otobong Nkanga, AlterScape Stories: Uprooting the Past, 2006, courtesy Otobong Nkanga, © Photo : courtesy Lumen Travo Gallery, Amsterdam et Galerie In Situ – Fabienne Leclerc, Paris

La première exposition individuelle d’Otobong Nkanga (née en 1974 au Nigeria) organisée aux États-Unis témoigne de la capacité de cette artiste à insuffler aux scènes les plus graves une poésie salutaire.

L’ensemble des travaux sélectionnés, qui comprend notamment un grand nombre de dessins, ainsi que des tapisseries et des installations, réalisés entre 2005 et 2018, est déployé dans une seule vaste galerie du Museum of Contemporary Art de Chicago, se présentant comme une constellation de récits au sein de laquelle le public peut circuler librement. Chacun de ces récits porte un regard singulier sur les traumatismes induits par la colonisation sur les territoires et les corps. Cette exposition explore la transformation des paysages, dont les origines sont souvent enfouies sous des strates d’histoire, et les liens qui unissent l’Afrique et l’Occident. En l’inaugurant par une performance autour de l’installation Solid Maneuvers (2015), issue d’une réflexion sur les effets dévastateurs de l’extraction de cuivre en Namibie par les Allemands au début du XXe siècle, O. Nkanga place son corps et son expérience personnelle au cœur de cette exploration.

Otobong Nkanga, constellations mémorielles - AWARE Artistes femmes / women artists

Otobong Nkanga, The Weight of Scars, vue d’installation Otobong Nkanga: To Dig a Hole That Collapses Again, MCA Chicago, 31 mars – 2 septembre 2018, © Photo : Nathan Keay, © MCA Chicago

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Otobong Nkanga, Filtered Memories et Social Consequences, vue d’installation Otobong Nkanga: To Dig a Hole That Collapses Again, MCA Chicago, 31 mars – 2 septembre 2018, © Photo : Nathan Keay, © MCA Chicago

Dans The Weight of Scars (2015), une tapisserie monumentale disposée à l’entrée de la galerie, deux silhouettes sans tête manient des cordes qui relient l’une à l’autre des photographies de mines abandonnées en Namibie, évoquant la mécanisation du corps humain à l’œuvre dans les chaînes de production propres au système capitaliste et la déshumanisation qui en découle. En faisant apparaître des réseaux de cicatrices, O. Nkanga dresse une cartographie historique et affective du continent africain, comme pour faire rejaillir ses blessures de l’oubli. Son vécu et sa mémoire sont souvent les premières sources utilisées dans cette entreprise, comme on le voit dans les séries de dessins Filtered Memories (2009-2010), et Social Consequences (2009-2010), où s’entremêlent reconstitutions de souvenirs d’enfance et représentations de scènes de violence relatives au passé du Nigeria.

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Otobong Nkanga, In Pursuit of Bling, vue d’installation Otobong Nkanga: To Dig a Hole That Collapses Again, MCA Chicago, 31 mars – 2 septembre 2018, © Photo : Nathan Keay, © MCA Chicago

C’est également une fascination de toujours pour les minéraux éclatants qui la mène à s’intéresser à la transformation du mica dans l’installation, devenue iconique, In Pursuit of Bling (2014). En associant tapisseries, échantillons de mica, documents d’archives et vidéos retraçant les étapes de son altération jusqu’à sa présence dans de nombreux produits utilitaires, tel le maquillage, O. Nkanga dévoile, dissèque la passion humaine pour « tout ce qui brille » et les sacrifices terrestres qui en dérivent. Il s’agit donc pour l’artiste de déterrer les racines invisibles qui sont à l’origine des métamorphoses de nos environnements et de donner à voir la main agissante, comme cela est mis en évidence dans le triptyque AlterScape Stories: Uprooting the Past (2006), où l’on aperçoit une silhouette qui, alors qu’elle surplombe un paysage, en manipule les éléments à sa guise.

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Otobong Nkanga, Anamnesis et Solid Maneuvers, vue d’installation Otobong Nkanga: To Dig a Hole That Collapses Again, MCA Chicago, 31 mars – 2 septembre 2018, © Photo : Nathan Keay, © MCA Chicago

L’œuvre in situ Anamnesis (2016-en cours) reprend de manière éloquente le thème du dévoilement. Elle est constituée d’une paroi traversée par une fissure en forme de rivière, laissant émerger des épices, du café, du thé ou encore du tabac et du cacao, denrées communément importées à Chicago. Les odeurs qui émanent des épices envahissent l’espace de la galerie et convoquent le corps du public, en l’invitant non seulement à contempler ce qui se trouve au cœur des structures qui l’entourent, mais également à s’interroger sur sa propre interaction avec celles-ci. Par une exploration de la mémoire des lieux et des expériences corporelles, O. Nkanga semble nous dire qu’il est possible de creuser au plus profond de ce qui semble enfoui et d’en reconstituer l’histoire, afin d’aujourd’hui la corriger.

 

Otobong Nkanga. To Dig a Hole that Collapses Again, du 31 mars au 2 septembre 2018, au Museum of Contemporary Art (Chicago, États-Unis).

Pour citer cet article :
Adiva Lawrence, « Otobong Nkanga, constellations mémorielles » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 15 juillet 2018, consulté le 25 avril 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/otobong-nkanga-constellations-memorielles/.

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