Jo Ann Callis, Untitled, from Early Color Portfolio, vers 1976, impression aux pigments d’archives, 40,6 x 50,8 cm, © Droits réservés
Objet fantasmé, idéalisé et fragmenté : lorsque l’on pense à la femme surréaliste c’est souvent en tant que sujet « autre » sur lequel l’artiste projette ses désirs et ses peurs. Pourtant, les femmes artistes surréalistes ont su défier cette objectification menée par un groupe majoritairement masculin. Dans Dreamers Awake, Susanna Greeves – commissaire de l’exposition – réétudie donc le surréalisme à travers ce prisme féministe.
Leonora Carrington, Title Unknown, 1963, huile et gouache sur carton, 60 x 71 cm, © Estate de Leonora Carrington
Certes, celui-ci a déjà été exploré en profondeur depuis les années 1980. Dans Les Femmes dans le mouvement surréaliste1 (1986), Whitney Chadwick avait déjà étudié le paradoxe d’un mouvement perpétuant des notions patriarcales tout en devenant un moyen d’émancipation pour grand nombre d’artistes femmes s’y associant. Elle analyse notamment l’importance de l’autoportrait et du rapport au corps parmi ces artistes afin de redéfinir leur propre identité en termes artistiques et féministes. Son exposition Image miroir: Femmes, surréalisme et représentation de soi, au MIT List Visual Arts Centre en 1998, inspira aussi entre autres Angels of Anarchy: Women artists and surrealism à la Manchester Art Gallery en 2009. L’exposition Somos plenamente libres. Las mujeres artistas y el surrealismo ouvrira également en octobre prochain au Museo Picasso Málaga. Cependant, au lieu de répéter ces recherches historiques, Dreamers Awake se concentre sur l’influence majeure des femmes surréalistes sur les pratiques contemporaines à l’intersection du féminisme, du genre et de la sexualité.
Linder, It’s The Buzz Cock!, 2015, Duratrans sur boîte lumineuse, 251 x 153 x 10 cm, © Photo : Robert Glowacki Courtesy Stuart Shave/Modern Art, London
Louise Bourgeois & Tracey Emin, A Sparrow’s Heart, 2009-2010, colorants d’archives imprimés sur vêtement, 76,2 x 61 cm, © Tracey Emin © Louise Bourgeois
Parmi une sélection de 50 artistes femmes, la majorité est donc contemporaine et dialogue avec un petit groupe d’artistes historiques. L’on y retrouve les peintures de Leonora Carrington, Leonor Fini et Dorothea Tanning qui jouent avec les archétypes de la femme surréaliste aux attributs ésotériques ou monstrueux, tandis que les photographies de Claude Cahun et Lee Miller expriment un rapport au portrait et au corps empreint de dualité et de trouble. Ces œuvres modernes se mêlent sans souci de hiérarchie ou de chronologie aux pratiques contemporaines s’en inspirant de près ou de loin. Ainsi, les objets fascinants et repoussants de Mona Hatoum et Helen Chadwick reprennent l’idée de l’objet fétiche avec provocation et humour. Pendant que la Siren (1994) en mousseline de Kiki Smith explore le corps féminin fragmenté et sexualisé, les structures de Berlinde de Bruyckere et Rachel Kneebone évoquent sa transformation et sa sensualité au travers de la cire et la porcelaine. La tradition du photocollage est revisitée dans les hybrides punk de Linder tandis que Gillian Wearing réunit performance et sculpture pour se métamorphoser dans ses photographies, rendant souvent hommage à C. Cahun. Avec son installation immersive My Life as an INFJ (2015-16), Shana Moulton redécouvre son corps par le biais d’objets et de projections immatérielles. La collaboration à quatre mains Do Not Abandon Me (2009-2010) de Tracey Emin et Louise Bourgeois exprime également ce rapport autobiographique au corps dans une vulnérabilité et une violence marquantes. Cette réappropriation et cette transformation laissent d’ailleurs libre cours aux transgressions de genre et de sexualité, permettant de remettre en question non seulement la masculinité prétendue du surréalisme mais également son hétérosexualité. L’identité queer de C. Cahun, L. Miller ou L. Fini permet ainsi de considérer des alternatives et expérimentations loin du regard masculin.
Jo Ann Callis, Untitled, from Early Color Portfolio, vers 1976, impression aux pigments d’archives, 40,6 x 50,8 cm, © Droits réservés
Dreamers Awake remporte un défi de taille en reconsidérant le surréalisme des artistes femmes avec un regard nouveau. En liant ses problématiques d’avant-garde à des stratégies artistiques contemporaines, l’exposition dresse un portrait nuancé de son influence et de sa pertinence actuelle tout en ouvrant la voie vers des confrontations et réinterprétations futures.
Dreamers Awake, du 28 juin au 17 septembre 2017, à White Cube Bermondsey, Londres, Royaume-Uni.