Bosquet Alain, La Peinture de Dorothea Tanning, Paris, J. J. Pauvert, 1966
→Bailly Jean-Christophe, Dorothea Tanning, New York, G. Braziller, 1995
→Tanning Dorothea, La Vie partagée, Paris, C. Bourgeois, 2002
Dorothea Tanning : Œuvre, Centre national d’art contemporain, Paris, 28 mai – 8 juillet 1974
→Dorothea Tanning: Behind the Door, Another Invisible Door, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid, 3 octobre 2018 – 7 janvier 2019 ; Tate Modern, Londres, 26 février – 9 juin 2019
→Collection Close-Up : The Graphic Work of Dorothea Tanning, The Menil Collection, Houston, 28 juin – 19 octobre 2019
Peintre et sculptrice américaine.
Formée à l’Academy of Fine Arts de Chicago, Dorothea Tanning, admiratrice de l’univers de Beardsley, s’installe à New York en 1938 et s’engage déjà dans la vie du surréalisme avant de se marier avec Max Ernst en 1946. Elle fréquente le groupe des Surrealists in Exile, formé autour d’André Breton et de Marcel Duchamp, et est accueillie par les galeristes Julien Levy (1944, 1948) et Alexandre Iolas (1953). Déjà présente à l’exposition pionnière Exhibition by 31 Women, organisée en 1943 par Peggy Guggenheim, elle côtoie également Gottlieb, Rothko, Baziotes, entre autres, dans des événements tels que Abstract and Surrealist Art in America qui circule en 1944, un an avant son exposition personnelle à la Crosby Gallery à Washington. Elle s’imposera sur la scène new-yorkaise comme une des personnalités pionnières de l’expression féminine américaine de l’immédiat après-guerre. Fantasmes sexuels, angoisses et peurs remontant à l’enfance et l’adolescence constituent les fondements des hallucinations visuelles de l’artiste : dans ses premiers grands tableaux comme Poppy Hotel (1941), des portes s’ouvrent sur des espaces quotidiens, vides et cernés de murs clos, qui sont animés, voire lacérés, par des créatures animales ou humaines en proie aux contorsions d’un désir latent. Souvent, des voiles fumeux ou des draperies sont tendues d’un mur à l’autre, comme pour masquer les apparences. Cet univers onirique, dans lequel apparaissent des jeunes femmes échevelées, à la fois provocantes et craintives, des tournesols hypertrophiés, des plantes ou des insectes carnivores (Eine Kleine Nachtmusik, 1943 ; Palaestra, 1947), est dépeint avec une minutie d’une froideur toute magrittéenne (Dream of Luxury, 1946), dont la précision hallucinatoire est celle d’un conte cruel (A Very Happy Picture, 1948).
L’allure de « tableaux vivants » de ces œuvres lui apporte des commandes de décors et costumes pour le théâtre, le film ou le ballet, dont The Night Shadow, monté par les Ballets russes de Monte-Carlo (1945). Son travail de peintre (et de graveuse) restera cependant prédominant. À partir des années 1950, ses visions deviennent de plus en plus floues : des corps disloqués et monstrueux d’humains et d’animaux (The Rose and the Dog, 1952), se lovent, étroitement imbriqués, dans des espaces non identifiables. Menaces et appels du désir : si l’artiste en exprime la toute-puissance, elle en révèle aussi la pulsion souterraine, fétichisante et profondément « déformante » – autant d’états angoissants de conscience du moi corporel, qui relèvent de l’inquiétante étrangeté freudienne. Le travail de sculpture, qu’elle entreprend au milieu des années 1960 à l’aide de matières quotidiennes de l’univers féminin, comme le velours (Pincushion to Serve as Fetish, « Pelote d’épingles servant de fétiche », 1969), le tissu rose et la dentelle, la laine ou la fausse fourrure, lui permettent d’objectiver pleinement le corps-à-corps fantasmatique et familier qui habite son imaginaire. Ses créatures métamorphiques, qui n’apparaissent que par fragments (fesses, bras), sont des poupées géantes de tissu, animées de forces souterraines et tentaculaires, comme des fleurs vénéneuses. La scénographie reste primordiale – espaces clos, meubles et corps constituant toujours un tout indissociable. Dans Poppy Hotel Room 202 (1974), deux corps nus féminins démembrés et fortement érotisés s’échappent des murs-pièges d’une chambre, tandis que des corps-meubles, recouverts de laine brune masculine tentent, de leurs membres informes et tordus convulsivement, de s’en approcher. Le travail de D. Tanning, dont la réception immédiate est plus parisienne qu’américaine, relève pleinement d’une poétique sadienne, celle qui mobilisa en France la dernière génération surréaliste, apportant, comme celle de Toyen, une vision féminine au courant d’imaginaire érotique. Les différents principes qui sont en œuvre dans ses sculptures molles et ses environnements – matières usuelles de récupération, démembrement et éclatement du moi, enfermement et enfouissement, voyeurisme – font écho à certaines expressions du pop art américain (Soft Sculptures de Claes Oldenburg), mais aussi à celles relevant de l’Anti Form (de Morris Louis à Eva Hesse), et s’approchent de celles, dans les années 1990, des sculptures organiques de Louise Bourgeois, entre autres. Enfin, l’écriture de soi, à laquelle elle s’est également livrée dans des poèmes (A Table of Contents), des récits de rêves et des textes autobiographiques, a inscrit sa démarche dans une perspective plus contemporaine.