Edgar Cleijne et Ellen Gallagher, vue de l’installation Highway Gothic (détail), 2017, Bonniers Konsthall, installation d’un film 16 mm avec film de 70 mm et bannières cyanotypes en toile, Courtesy Edgar Cleijne et Ellen Gallagher & Hauser & Wirth & Gagosian Gallery
L’exposition Liquid Intelligence, organisée par le Wiels à Bruxelles, présente quelques réalisations d’Ellen Gallagher (née en 1965) produites depuis une quinzaine d’années, ainsi que les travaux qu’elle a récemment entrepris avec le photographe et cinéaste néerlandais Edgar Cleijne. E. Gallagher propose des œuvres graphiques, des peintures et des installations filmiques qui toutes témoignent de son intérêt pour les histoires collectives et subjectives, leurs rémanences temporelles et leur propension à l’utopie.
Les notions d’hybridation, de descendance, de migration et de domination constituent certains des thèmes explorés par E. Gallagher dans le cadre de cette manifestation. Il serait pour autant injuste d’associer cette exposition et les œuvres qu’elle révèle à la seule catégorie (ou l’« étiquette ») de l’afrofuturisme, à laquelle son art est communément lié. Bien sûr, E. Gallagher montre des peaux noires transformées, voire blanchies, au moyen de publicités qu’elle modifie (DeLuxe, 2004-2005) ; elle fait apparaître l’épiderme des visages-masques qu’elle creuse à même la surface du papier (Morphia, 2008-2012) ; elle recouvre ses toiles d’une teinte profonde et brillante comme l’ébène (Black Paintings, 1998-2002) ; elle attire enfin notre attention sur les discriminations toujours imposées aux communautés noires américaines (Highway Gothic, 2017). Néanmoins, loin de livrer un constat amer et pessimiste des récits remémorés qu’elles actualisent, les œuvres de E. Gallagher incitent plutôt à considérer ces impérieux problèmes sous l’angle des transformations liquides auxquelles le titre réfère. Tiré de Photographie et intelligence liquide, essai rédigé par le photographe Jeff Wall en 1989, celui-ci prolonge l’opposition formulée par J. Wall entre l’eau, ses propriétés inhérentes de dissolution et d’imprécision, et l’aspect « sec » de la photographie – et du film – en tant que « forme instituée ». Dans les travaux de E. Gallagher, les collages, les accumulations, les recouvrements jouent de la sorte avec de subtiles opacités que contredisent de fines lueurs et transparences : celles des cyanotypes saturant l’espace de la salle où apparaît l’ensemble Highway Gothic, celles des feuilles de dessin aux surfaces partiellement évidées. D’autres citations et références sont également convoquées par l’artiste grâce aux œuvres présentées : les peintures suprématistes de Kazimir Malevitch (Negroes Battling in a Cave, 2016) et les toiles abstraites de Frank Stella, ou encore les bandes dessinées de George Herriman (Dance You Monster, 2000).
Ellen Gallagher, Morphia, 2012, encre, aquarelle, détrempe à l’œuf, crayon et collage sur papier découpé, structure du cadre : acier et verre, 79.5 x 65.6 cm, Courtesy Ellen Gallagher & Hauser & Wirth
Osedax (2010), dernière installation exposée, rend quant à elle explicitement hommage au roman Moby Dick (1851) de Herman Melville. Projeté en 16 millimètres, le film évoque la disparition de la baleine grâce à la lente dissolution d’une épave pourtant peuplée, avant son naufrage, par les cormorans qui parfois s’y posent. Point d’orgue de Liquid Intelligence, cette ultime réalisation aborde de manière métaphorique les débats sociaux, économiques et politiques contemporains, notamment ceux relatifs à l’anthropocène. Quoique ses dessins, ses peintures et ses films attestent l’intérêt de E. Gallagher pour la biologie, les mondes maritimes, le caractère mouvant des phénomènes aquatiques et humains, on regrette toutefois que ces préoccupations d’ordre écologique ne soient pas davantage développées par l’artiste, particulièrement en ce qui concerne les énergies électriques employées pour le fonctionnement de certaines des œuvres exposées.
Liquid Intelligence, du 2 février au 28 avril 2019, au Wiels (Bruxelles, Belgique).