Critique

Rendre visible l’invisible : Rachel Whiteread à Londres

04.01.2018 |

Rachel Whiteread, Untitled (One Hundred Spaces), 1995, résine, dimensions variables, Pinault Collection, © Rachel Whiteread, © Photo : Tate (Seraphina Neville and Mark Heathcote)

Preuve magistrale que rien ne vaut d’éprouver physiquement une œuvre, la rétrospective consacrée à Rachel Whiteread (née en 1963) à la Tate Britain célèbre un art tout aussi délicat que puissant, soutenu par un sens extraordinaire du matériau (sa porosité, sa douceur, sa translucidité ou encore sa plasticité), là où on croyait assister à une énième manifestation de minimalisme austère.

Rendre visible l’invisible : Rachel Whiteread à Londres - AWARE Artistes femmes / women artists

Rachel Whiteread, Untitled (Amber Bed), 1991, caoutchouc, 51 x 36 x 40 cm, Carré d’Art, musée d’Art contemporain (Nîmes, France), © Rachel Whiteread, © Photo : Rachel Whiteread

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Rachel Whiteread, Untitled (Pink Torso), 1995, plâtre dentaire rose, 10 x 17,5 x 27,5 cm, Courtesy Rachel Whiteread et Gallery Gagosian, © Rachel Whiteread, © Photo : Tate (Seraphina Neville et Mark Heathcote)

Première femme à remporter le prestigieux Turner Prize en 19931, R. Whiteread explore depuis plusieurs décennies les possibilités du moulage – en plâtre, en résine, en caoutchouc, voire en béton – utilisé d’ordinaire pour la reproduction de sculptures. Mais, délaissant son usage traditionnel, la plasticienne donne à cette technique le pouvoir de révéler le volume intérieur d’objets du quotidien et de bâtiments, autrement dit, de rendre visible l’invisible. Elle examine ainsi notre rapport corporel à des choses aussi banales qu’une bouillotte (Untitled [Pink Torso], 1995), un matelas (Untitled [Amber Bed], 1991), une pièce vide (Untitled [Room 101], 2003), voire une maison entière (House, 1993). Plus encore, elle scrute l’empreinte de l’humanité sur son environnement domestique et sonde les strates enfouies de la mémoire, sur fond de tension entre présence et absence.

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Rachel Whiteread, House, 1993, © Rachel Whiteread, © Photo : Rachel Whiteread

Avec didactisme, la Tate Britain propose au public une présentation thématique des œuvres de R. Whiteread qui, grâce aux choix des commissaires, trouve un écho singulier dans l’architecture même du musée. Après une partie liminaire dédiée à la commande publique – dont on retient notamment cette House de 1993, moulage intégral et in situ d’une habitation victorienne de l’East End de Londres, et les images du très beau Holocaust Memorial de la Judenplatz à Vienne (2000) –, les sections « Premiers travaux », « Œuvres sur papier », « Cabanes et papier mâché » ou « Fenêtres et portes » – certaines en résine colorée d’une irrésistible sensualité (Due Porte, 2016) – s’articulent autour de Untitled (Stairs) (2001). Placée au centre de la principale salle, cette réplique monumentale des marches (l’espace – le vide – qui les surplombe) d’un escalier du domicile et atelier de l’artiste exalte le double effet de familiarité et de désorientation propre à son travail.

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Rachel Whiteread, Due Porte, 2016, résine, 247 x 124 x 8 cm, Galleria Lorcan O’Neill, Rome, © Rachel Whiteread, © Photo : Courtesy Galleria Lorcan O’Neill, Rome

Sur le chemin de la sortie, le parcours se poursuit avec la sélection, effectuée par R. Whiteread elle-même, dans la collection de la Tate d’œuvres de Lynda Benglis, Anthony Caro, Richard Dadd, Richard Deacon, Michael Dean, Barry Flanagan, Barbara Hepworth, Sarah Lucas, Robert Morris et Rebecca Warren. Avant de s’achever dans les imposantes Duveen Galleries par un nouvel agencement d’Untitled (One Hundred Spaces) (1995), réunion de cent moulages de dessous de chaises disposés de manière variable en fonction du lieu où elle est montrée. Un seul conseil : courez-y !

 

Rachel Whiteread, du 12 septembre 2017 au 21 janvier 2018, à la Tate Britain (Londres, Royaume-Uni).

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Le prix est remis chaque année à un ou une artiste britannique ou travaillant sur le sol britannique.

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Pour citer cet article :
Camille Viéville, « Rendre visible l’invisible : Rachel Whiteread à Londres » in Archives of Women Artists, Research and Exhibitions magazine, [En ligne], mis en ligne le 4 janvier 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : https://awarewomenartists.com/magazine/rendre-visible-linvisible-rachel-whiteread-a-londres/.

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