Ágnes Dénes, Absolutes & Intermediates, 1970, encre sur papier millimétré, 21,59 × 27,94 cm, Courtesy Ágnes Dénes et Leslie Tonkonow Artworks + Projects
« Tant que cette technologie ne sera pas inventée, le projet ne pourra pas voir le jour1. » Cette affirmation d’Ágnes Dénes (née en 1931) résume le génie d’une artiste visionnaire, aux avant-gardes de l’art mais aussi des sciences et des innovations technologiques.
Vue de l’exposition : Agnes Denes: Absolutes and Intermediates, The Shed, New York, 9 octobre 2019 – 22 mars 2020, Courtesy The Shed, © Photo : Dan Bradica
L’exposition Agnes Denes: Absolutes and Intermediates présente plus de 150 œuvres sur cinquante ans de carrière. Cette rétrospective, la première de cette ampleur qui soit consacrée à l’artiste à New York, ville où elle a réalisé un de ses projets les plus connus, Wheatfield – A Confrontation (1982), est organisée par Emma Enderby au centre culturel The Shed.
Vue de l’exposition : Agnes Denes: Absolutes and Intermediates, The Shed, New York, 9 octobre 2019 – 22 mars 2020, Courtesy The Shed, © Photo : Dan Bradica
Artiste de la complexité et chercheuse insatiable, Á. Dénes est tout à la fois mathématicienne, architecte, urbaniste et philosophe. Cette exposition rend compte d’une conception de l’art comme système permettant d’explorer l’univers et de rendre visible le savoir. Á. Dénes fait ce pari que l’art est peut-être la seule spécialisation du monde moderne capable d’embrasser toutes les autres pour mieux saisir les enjeux de notre époque dans leur multidimensionnalité.
Ágnes Dénes, Tree Mountain–A Living Time Capsule—11,000 Trees, 11,000 People, 400 Years, 1992-1996, 1992-2013, impression chromogène, 91,44 × 91,44 cm, Courtesy Ágnes Dénes et Leslie Tonkonow Artworks + Projects
Assurément engagée, Á. Dénes, lorsqu’elle est interrogée sur le rôle de l’artiste à l’occasion de la réalisation de son œuvre Tree Mountain – A Living Time Capsule – 11,000 Trees, 11,000 People, 400 Years (1992-1996), répond que celui·elle-ci a un devoir envers l’humanité, celui de « partager [sa] vision et de permettre au monde de voir à travers [ses] propres yeux2 ». À cela, elle ajoute qu’il ne suffit pas de « sortir de [son] studio et d’aller voir le monde3 » afin d’agir sur ce dernier. Se revendiquant comme pionnière de l’art écologique, Á. Dénes se distingue de beaucoup d’artistes de land art qui, dans les années 1960, sont sorti·e·s parce qu’il·elle·s « avaient besoin de plus d’espace mais ne se préoccupaient nullement des questions environnementales, cadet de leurs soucis4 ». À l’inverse, chacune de ses œuvres est une tentative de réponse pragmatique à un problème d’origine humaine, conférant ainsi à l’art une fonctionnalité par nécessité. Et si beaucoup de ses projets n’ont pas vu le jour, c’est avant tout, comme le rappelle la commissaire d’exposition, parce qu’elle est une femme et qu’elle « était et est toujours en avance sur son temps, à la fois en ce qui était attendu et accepté des artistes femmes mais aussi simplement dans sa vision5 ».
Ágnes Dénes, RiceTreeBurial, 1977-1979, tirage gélatino-argentique, Artpark, Lewiston, New York, Courtesy Ágnes Dénes et Leslie Tonkonow. Artworks + Projects
Sorte de philosophie visuelle, le travail d’Á. Dénes révèle, avec constance et persévérance tout au long de sa carrière, une profonde foi en l’humanité et le désir de la voir réussir malgré ses échecs répétés et sa folie qui conduit aujourd’hui à son autodestruction. Avec chacune de ses œuvres, elle engage le public à la fois dans une réflexion existentielle et dans une responsabilisation, à travers ses capsules temporelles dans lesquelles elle saisit, pour les générations futures, les impressions des spectateur·rice·s sur son travail mais aussi leur regard sur le monde qui les entoure.
Vue de l’exposition : Agnes Denes: Absolutes and Intermediates, The Shed, New York, 9 octobre 2019 – 22 mars 2020, Courtesy The Shed, © Photo : Dan Bradica
Face à une crise environnementale qui entraîne une paralysie profonde et qui est aggravée par cette même inertie, Agnes Denes: Absolutes and Intermediates est une promesse d’expérience esthétique qui pourrait tendre vers la mise en mouvement des actes et des consciences d’un public « concerné ».
Le titre « What may ultimate reality be? » est la dernière question posée par Á. Dénes dans le questionnaire qu’elle adresse, pour l’exposition, à son public et dont elle collecte les réponses dans ce qu’elle appelle une capsule temporelle qui devra être ouverte en 3020.
Agnes Denes: Absolutes and Intermediates, du 9 octobre 2019 au 22 mars 2020, au Shed (New York, États-Unis).