Fatimah Tuggar est une plasticienne multidisciplinaire qui fait appel aux technologies média dans un questionnement sur les structures hégémoniques et l’asymétrie des relations internationales. Née à Kaduna au Nigéria, elle grandit au Royaume-Uni et fit ses études à la Blackheath School of Art à Londres. Depuis la fin des années 1980, F. Tuggar s’est installée aux États-Unis où elle a poursuivi des études et où elle exerce ses activités d’artiste. En 1992, elle obtint une licence (BFA) de l’Institut des arts de Kansas City, puis en 1995, elle sortit diplômée de l’université Yale avec une maîtrise des beaux-arts (MFA). Elle compléta sa formation au Whitney Museum of American Art à New York dans le cadre d’un programme d’études indépendantes en 1995-1996. Son parcours personnel sur trois continents a forgé son opinion sur la façon dont les technologies – notamment les médias – se sont développées et ont été embrassées dans différents contextes géopolitiques. Sa volonté de mettre en exergue ces contradictions a été nourrie par ses jeunes années dans le nord du Nigéria. F. Tuggar explore les effets des différentes technologies sur la vie sociale et culturelle, et plus particulièrement sur les minorités raciales et sur les femmes.

Faisant appel à des techniques artistiques variées, elle aime juxtaposer ou combiner des objets, des images, des enregistrements audio ou vidéo préexistants, pour leur donner une finalité différente, avec esprit critique et créativité. Ses collages et ses assemblages mêlent souvent des motifs ou de l’imagerie d’Afrique de l’Ouest et du monde occidental, afin de mieux soupeser les conséquences de la technologie sur les pays du Nord et sur les pays du Sud. Dans ses tout premiers collages numériques, comme dans Working Woman (1997), transparaissait déjà la préoccupation de l’artiste au sujet des tensions entre le patrimoine culturel autochtone et l’attrait pour les technologies modernes, à travers une juxtaposition de situations représentant la vie moderne en Afrique. Les images qu’elle crée révèlent son intérêt pour les contradictions de la mondialisation, qui permettent autant de convergences que de divergences culturelles.

Autre œuvre majeure de F. Tuggar, Fai-fain Gramophone (2010) est une installation qui fait dialoguer les langues, les traditions musicales locales et les technologies audio. Lorsque les disques microsillons firent leur apparition dans le nord du Nigéria, ils furent appelés fai-fai, parce que leur forme évoquait un objet plat en raphia utilisé dans les cuisines d’Afrique de l’Ouest pour tamiser les céréales, pour attiser le feu ou encore pour recouvrir les aliments, et qui se disait ainsi dans la langue haoussa. F. Tuggar a voulu jouer sur le double sens de fai-fai, pour rapprocher les deux traditions, mettant le vocabulaire de la langue vernaculaire indigène en relation avec la platine de disques incarnant la technologie moderne.

Elle en profita également pour nous faire découvrir la contribution musicale de Barmani Choge, une poétesse de tradition orale et de langue haoussa du nord du Nigéria : malgré sa popularité, jamais sa musique ne fut enregistrée sur un vinyle. En la réhabilitant ainsi avec originalité, F. Tuggar rendit hommage à la chanteuse et à son œuvre musicale en imaginant les albums fictifs que B. Choge aurait pu enregistrer. Cette installation révèle surtout les capacités de l’artiste à croiser les différentes modalités d’adaptation et de réinterprétation, pour mettre en avant le décalage entre tradition et modernisation.

Outre son travail d’artiste, F. Tuggar est également pédagogue et a enseigné dans plusieurs universités américaines ou canadiennes. Ses œuvres sont présentes dans diverses collections publiques, à commercer par le Kemper Museum of Contemporary Art (Kansas City), The Kitchen (New York), le Pérez Art Museum Miami (PAMM) ou encore le Studio Museum in Harlem (New York).