Kamala Ibrahim Ishaq, galerie de l’Institut français de Karthoum, Karthoum, 25 janvier – 12 février 2015
→Kamala Ibrahim Ishaq: Women in Crystal Cubes, Sharjah Art Foundation, Charjah, 12 novembre 2016 – 14 janvier 2017
Artiste soudanaise.
Kamala Ibrahim Ishaq apparaît aujourd’hui comme une figure pionnière de la scène artistique soudanaise. D’abord en tant que femme artiste puisqu’elle est l’une des premières femmes à obtenir son diplôme à l’école des beaux-arts de Khartoum, en 1963. Ce diplôme lui permet de développer sa formation, elle part ainsi étudier au Royal College of Art à Londres, entre 1964 et 1966. Elle décide ensuite de revenir au Soudan pour y enseigner à son tour et proposer un regard critique sur le groupe de l’école de Khartoum qui domine alors la scène. En 1971, avec deux de ses étudiantes, Muhammad Hamid Shaddad et Nayla El Tayib, elle fonde le Crystalist Group (le groupe des Cristallistes) dont l’engagement à la fois esthétique et conceptuel vise à penser un art critique débarrassé des normes machistes et officielles du monde de l’art soudanais, principalement et majoritairement occupé par les hommes. En 1978, les trois artistes rédigent et cosignent un texte en arabe intitulé Am-Bayan Am-Kristali [Le manifeste cristalliste]. Le nom du groupe y est expliqué : « Le Cosmos est un projet d’un cristal transparent sans voile et d’une profondeur éternelle. La vérité est que la perception des Cristallistes du temps et de l’espace diffère de celle des autres. L’objectif des Cristallistes est de ramener à la vie le langage du cristal et de transformer le langage en une langue transparente, dans la mesure où aucun mot ne peut en voiler un autre – pas de sélectivité dans le langage. […] Nous vivons dans une nouvelle vie qui nécessite un nouveau langage et une nouvelle poésie. » Les Cristallistes cherchent alors un langage esthétique et critique délivré de toute forme d’oppression et de pouvoir, un langage transparent où les notions de plaisir et de savoir sont mises en avant pour annuler de manière définitive celles de la différence et de la frontière.
Très influencée par les pratiques spirituelles soudanaises, Kamala Ibrahim Ishaq mène une recherche sur les différentes cérémonies, sur les divers rituels et cultes. Elle s’intéresse notamment au culte des zār (esprits démoniaques), pratiqué par les femmes dans le centre du Soudan pour lutter contre la possession des esprits. Les peintures sur toile aux imposants formats donnent à voir des visages de femmes déformés, des corps en mouvement, voire monstrueux, dont la perception est diffractée. Proche des teintes naturelles, la palette chromatique employée par l’artiste joue des forts contrastes lumineux qui accentuent le caractère mental des expériences vécues ou observées. Les corps féminins, seuls ou démultipliés, sont placés à l’intérieur d’espaces non déterminés. Souvent figurées en situation de partage ou d’expérience collective, les femmes y sont connectées par des flux, des racines et autres formes rhizomatiques. Leur représentation génère une relecture féministe du cubisme et du surréalisme. Les huiles sur toile traduisent non seulement des expériences spirituelles intenses, mais aussi une vision critique portée à l’encontre d’un réel normé auquel chacun·e aurait à se conformer, à l’intérieur duquel chacun·e aurait à se figer. En ce sens, le cristal est un prisme qui permet d’appréhender une multitude de réalités, mouvantes, libres et imprévisibles. Des réalités qui, comme dans la nature, se transforment en permanence.