Butt Zoé (dir.), Chorégraphies suspendues : Residual, disrupted choreographies, cat. expo., Musée d’art contemporain, Nîmes (21 février – 27 avril 2014), Nîmes, Archibooks, 2014
Six lines of flight : shifting geographies in contemporary art, Museum of Modern Art, San Francisco, 15 septembre – 31 décembre 2012
→From the mountains to the valleys, from the deserts to the seas : journeys of historical uncertainty, CAMP – Center for Art on Migration Politics, Copenhague, 25 septembre – 12 décembre 2015
→Tiffany Chung: Vietnam, Past Is Prologue, Smithsonian American Art Museum, Washington, 15 mars – 25 août 2019
Plasticienne vietnamienne-états-unienne.
À la suite de la prise de Saigon par l’armée d’Hô Chi Minh en 1975, Tiffany Chung se voit contrainte de quitter le Vietnam. Son père, pilote de l’armée du Vietnam du Sud qui a combattu aux côtés des Américains, est emprisonné de 1971 à 1985, ce qui la confronte concomitamment à l’absence et à l’attente optimiste et confiante. Sa famille se réfugie sur la côte ouest des États-Unis. T. Chung y étudie d’abord la photographie à la California State University de Long Beach, puis les différentes formes de l’art conceptuel à l’University of California de Santa Barbara. Encouragée par son professeur Colin Gardner, elle expérimente de nombreuses pratiques : l’estampe, l’art digital, le dessin, la peinture, la vidéo, la photographie, la performance, cherchant dans chaque médium son efficacité maximale.
De 2000 à 2017, elle revient s’installer à Hô Chi Minh-Ville et participe, en 2007, à la création d’un centre artistique engagé, Sàn Art, avec d’autres artistes tels que Dinh Q. Lê, Tuan Andrew Nguyen et Phunam du Propeller Group.
Au cours de ces années, elle voyage régulièrement en Asie et passe de nombreux mois en résidence au Japon. Initialement fascinée par le phénomène pop asiatique, qui s’incarne en particulier par les cosplayers travestis en personnages de fiction afin de mieux s’émanciper de contraintes sociales étouffantes, elle y étudie en détail les révoltes du riz de 1918 (kome sōdō), ainsi que les conséquences urbaines et psychologiques du tremblement de terre de Kobe en 1995. La performance Play (2008) est emblématique de cette période.
S’hybrident alors dans sa pratique une esthétique résolument méticuleuse, séduisante, décorative, avec un sens de la subversion, et une volonté de rendre compte de phénomènes sociaux historiques souvent traumatiques ou violents. Les déplacements massifs de populations (Syrie, Vietnam), les partitions (Allemagne, Moyen-Orient, Vietnam, Corée), les marges des empires (Maroc, Roumanie…), les bouleversements liés aux guerres ou aux désastres environnementaux (bombes atomiques, partages de ressources…) constituent le cœur du travail de T. Chung. Par l’intermédiaire de performances, d’installations, de broderies, peintures ou dessins, l’artiste cherche à révéler les amnésies du passé tout en en dénonçant les lectures univoques et en identifiant les rémanences – afin de potentiellement s’en défaire.
Les révoltes du riz, par exemple, trouvent un écho tout autant dans l’histoire du Vietnam postérieure à 1975 que dans le Printemps arabe. L’artiste invente ainsi de nouvelles géopolitiques. Colin Gardner qualifie cette pratique de « réalisme spéculatif ». Les œuvres de T. Chung ouvrent en effet les portes de la créativité politique : ce qui aurait pu être, ce qui pourra advenir… Or, comme elle l’affirme elle-même, « la ligne qui sépare l’imagination politique de la participation est fine ». Ainsi, pour compléter son engagement, l’artiste enseigne, transmet, partage. À Copenhague, en 2015, elle propose des cours d’art aux immigré·e·s nouvellement débarqué·e·s du Moyen-Orient et d’Afrique dans la perspective de leur redonner la concentration nécessaire à leurs futurs accomplissements. La même année, elle demande à des étudiant·e·s d’art d’Hô Chi Minh-Ville de reproduire en peinture les photographies des réfugié·e·s vietnamien·ne·s à Hong Kong collectées par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) afin de lutter contre l’effacement de ces périodes de ségrégation.
Comme en témoigne le Syria Project (2014-2015) exposé lors de la LVIe Biennale de Venise en 2015, l’outil cartographique, à l’intersection entre géographie, sociologie, histoire et politique, occupe T. Chung en priorité. L’artiste questionne l’autorité et la légitimité de cette représentation du monde en soulignant sa nécessaire subjectivité et ses ambiguïtés. Ces cartes, souvent réalisées sur calque, utilisent un trait délicat et des couleurs chatoyantes. Elles attirent par leur soyeuse beauté et envoûtent les regardeur·euse·s. Une fois captivé·e, aucun·e ne peut échapper au cri de protestation de l’artiste contre l’oubli et la déshumanisation. Le travail de T. Chung emploie la séduction comme arme contre la censure et l’indifférence afin de mieux éclairer les consciences.