Vives Cristina, Belkis Ayón. Nkame, Catalogue raisonné, Madrid, Turner, 2010
→Vives Cristina, Behind The Veil Of A Myth : Belkis Ayón, Houston / La Havane, Station Museum of Contemporary Art / Belkis Ayón Estate / Estudio Figueroa-Vives, 2018
Belkis Ayón, FRG OBJECTS & DESIGN / ART, Hudson, 2 août – 30 septembre 2014
→Nkame, A Restrospective of the Cuban pintmaker Belkis Ayón, Fowler Museum at UCLA, Los Angeles, 1 octobre 2016 – 17 février 2017 ; Museo del Barrio, New York, 13 juin – 5 novembre 2017 ; Kemper Museum of Contemporary Art, Kansas City, 25 janvier – 29 avril 2018 ; Scottsdale Museum of Contemporary Art, Scottsdale, 13 octobre 2018 – 20 octobre 2019
Graveuse cubaine.
« Ce n’est pas parce que mon œuvre aborde des thèmes aussi spécifiques que les croyances, rituels et mythes de la société secrète Abakuá que celle-ci n’est dédiée qu’au peuple qui vit dans cette foi et la professe. Ce qui m’intéresse par-dessus tout, c’est d’interroger la nature humaine – cette sensation éphémère, cette spiritualité à travers laquelle mon art sera susceptible d’être apprécié par un public universel, bien qu’il soit de prime abord difficile d’échapper à l’impression, aux formes et à l’image. » Voilà comment Belkis Ayón décrit sa pratique dans un texte tiré de ses archives qui date de 1993. Sa carrière sera de courte durée, interrompue par son suicide à l’âge de 32 ans. Diplômée de l’Academia Nacional de Bellas Artes San Alejandro en 1986 et de l’Instituto Superior de Arte en 1991, tous deux à La Havane, B. Ayón fait irruption sur la scène de l’art contemporain cubaine et mondiale à tout juste 20 ans. Dès sa première exposition, Propuesta a los Veinte Años [Proposition à 20 ans, 1988], son travail marque un avant et un après dans la gravure latino-américaine par la qualité exceptionnelle de ses imposants assemblages de collographies et la nature postmoderniste de sa recherche artistique.
L’œuvre de B. Ayón se fonde sur la tradition orale héritée de l’abakuá, une religion d’origine africaine arrivée à Cuba au XIXe siècle et pratiquée exclusivement par les hommes. En s’appuyant sur ses lectures et ses amitiés avec d’éminents intellectuels abakuá, B. Ayón se familiarise avec ce culte et développe une iconographie qui l’associe aux symboles d’autres croyances. Elle articule ainsi un discours universel sur la censure, la violence, l’intolérance, la discrimination sexuelle, le contrôle exercé par le pouvoir, parmi les nombreuses manifestations de la crise sociale qui caractérisent le Cuba des années 1990, conséquence immédiate de l’effondrement du socialisme européen sur lequel reposait la vie de l’île. Aux côtés d’autres artistes remarquables de sa génération – Los Carpinteros (1992-2018), Fernando Rodríguez (né en 1970), Tania Bruguera (née en 1968) –, B. Ayón reflète la réalité du pays d’un point de vue conceptuel et critique à travers un langage visuel et personnel caractéristique.
L’année 1991 marque un tournant dans sa carrière. C’est à cette époque qu’elle crée ses plus grandes installations – des assemblages sous forme de polyptyques comprenant parfois jusqu’à 18 sections (Pa’ que Me Quieras por Siempre [Pour que tu m’aimes toujours, 1991]) – et des matrices collographiques faites de matériaux divers qui, lorsqu’elles sont encrées et imprimées, permettent d’obtenir une palette très variée de blancs, noirs et gris, ainsi que des textures presque mystérieuses parfaitement adaptées au drame humain qu’évoquent ses œuvres. Ses participations aux Biennales de La Havane en 1991, de Venise en 1993 et de Gwangju en 1997 la consacrent comme une figure émergente de l’art à l’échelle mondiale. L’acquisition précoce de ses œuvres par des musées prestigieux (Museo Nacional de Bellas Artes, La Havane ; Museum of Modern Art, New York ; Museum of Contemporary Art, Los Angeles ; Ludwig Forum für Internationale Kunst, Aix-la-Chapelle, entre autres) et l’obtention de trois prix internationaux (première édition de l’Internationale Grafiek Biënnale, Maastricht, Pays-Bas, et Encuentro Nacional de Grabado, Porto Rico, en 1993 ; XIa Bienal de San Juan del Grabado Latinoamericano y del Caribe, Porto Rico, en 1997) font d’elle l’une des artistes omniprésentes dans les expositions et publications spécialisées d’Europe, d’Asie et d’Amérique latine.
En 2019, vingt ans après sa mort, une exposition itinérante d’envergure, Nkame: A Retrospective of Cuban Printmaker Belkis Ayón, lui est consacrée dans plusieurs musées états-uniens. La critique estime qu’il s’agit de l’une des plus remarquables présentations d’art contemporain actuelles, renforçant ainsi la valeur esthétique de ses gravures et la pertinence sociale et éthique de son propos, perceptible en filigrane derrière le voile du mythe.