Nobody Will Talk About Us, cat. expo., Tyburn Gallery, Londres (8 avril – 21 mai 2016), Londres, Tyburn Gallery, 2016
Murmurer, galerie El Marsa, Tunis, Tunisie, 2012
→Off the air, Zeitz MOCCA, Le Cap (Afrique du Sud), 2017
Photographe et vidéaste tunisienne.
Artiste photographe et vidéaste, Mouna Karray vit et travaille entre Paris et Sfax. Elle se forme à l’Institut supérieur d’animation culturelle à Tunis et au Tokyo Institute of Polytechnics and Arts, à Tokyo, où elle obtient un master en 2001.
Son œuvre a fait l’objet d’expositions personnelles (en Tunisie et en Grande-Bretagne) et collectives (The Divine Comedy. Heaven, Hell, Purgatory Revisited by Contemporary African Artists, Francfort, Museum für Moderne Kunst ; Washington, Smithsonian National Museum of African Art ; Savannah, Walter O. Evans Collection of African American Art, 2014 ; Broken English, Londres, Tyburn Gallery, 2015 ; Afriques capitales, Paris, la Villette, Lille, gare Saint-Sauveur, 2017 ; exposition d’ouverture du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa, 2017, etc.) et a également été présentée lors d’événements internationaux (Biennales de Dakar et de Bamako, Photoquai, le Mois de la photo du Grand Paris). À travers une approche souvent intime et poétique, ses séries abordent des sujets sociopolitiques historiques ou plus contemporains.
« La question que je me pose est : comment raconter ? […] L’Histoire est-elle privilège des riches, des villes, des vainqueurs ? Comment raconter l’histoire des oubliés d’une Tunisie de l’indépendance et de la révolution ? » se demande-t-elle au cours d’un entretien avec l’anthropologue Alexandra Galitzine-Loumpet (A*Magazine, juin 2017). C’est en partie de ces interrogations que naît la série Personne ne parlera de nous, créée entre 2012 et 2015 dans le Sud tunisien. D’une image à l’autre, on retrouve un étrange sac blanc – dont un corps paraît vouloir s’extraire – posé au cœur de paysages minéraux, et souvent solitaires. Parfois, des hommes, des animaux ou des enfants entrent subrepticement dans le cadre, ils travaillent ou jouent juste à côté, ils vaquent à leurs occupations habituelles. Que fait-elle là, cette présence énigmatique ? Et, surtout, de quoi est-elle le nom ?
Si l’artiste se refuse, à raison, à fournir des explications directes et univoques au sujet de son œuvre, préférant renvoyer à des « questionnements silencieux et suggestifs », les thèmes qui semblent en émerger s’apparentent à un commentaire sensible sur l’enfermement, l’oppression, voire une certaine suffocation. Toutefois, des signes d’espoir, de résistance et de possibles libérations sont aussi inscrits dans ses images : ainsi, les huit clichés qui composent la série Noir (2013) donnent à voir un autre corps, lui aussi contraint, enveloppé dans un tissu blanc, d’où s’échappe néanmoins une main qui presse le déclencheur d’un appareil photographique, geste qui préfigure, peut-être, la promesse d’un temps de respiration et d’affirmation. Ou encore dans la série The Rope (2014), où un jeu de corde s’étire sur quatre clichés successifs (qu’un effet de surexposition nous cache cependant en partie), laissant deviner une tension et un équilibre toujours instables entre celles et ceux qui se trouvent aux extrémités de la corde sur laquelle ils tirent… Enfin, cette capacité de résistance, si modeste et si minuscule soit-elle, résonne également dans la série Murmurer (2007-2009), où l’artiste revient aux abords de sa ville natale, Sfax, pour y photographier ce qui reste des murs ceignant le port qui a permis le développement de la ville. Là aussi, nous sommes plongé·e·s dans les marges, dans des vides et des pleins, des récits de ce qui fut et de ce qui advient, des strates superposées de temps. En filigrane s’immisce la question de la mémoire des expériences qui se sont jouées là, autre thème qui traverse le travail de M. Karray.